L'année 2024 a été la plus chaude jamais enregistrée depuis 1850, selon un rapport publié le 10 janvier dernier par l'observatoire européen Copernicus. L'augmentation de la température moyenne mondiale a même dépassé le seuil symbolique du 1,5 °C fixé par l'accord de Paris en 2015. Malgré un backlash toujours plus prononcé sur la question écologique, nul ne peut ignorer la réalité de ces chiffres ni les conséquences du réchauffement climatique, qui se font sentir aux quatre coins du globe.
À l'avant-garde, une poignée de maisons lancent depuis longtemps l'alerte. « Le grand mouvement pour l'écologie a commencé dans les années 1970 », rappelle Henri Trubert, cofondateur avec Sophie Marinopoulos des Liens qui libèrent. Malgré la publication de plusieurs titres ou séries, comme « Écologie et société » inaugurée en 1994 par La Découverte, l'écologie reste « un sujet de niche » à la fin des années 2000, relèvent de concert Georgia Froman (Wildproject), Pauline Oranna Fousse (Le Passager clandestin) et Thomas Bout (Rue de l'échiquier). C'est à cette époque que ces maisons apparaissent dans le paysage éditorial. Elles sont rapidement suivies par la création de collections emblématiques comme « Domaine du possible », lancée en 2011 par Cyril Dion chez Actes Sud, ou « Anthropocène », inaugurée en 2013 par Christophe Bonneuil au Seuil et devenue « Écocène » dix ans plus tard.
Effervescence
Autour de 2015, le rayon passe de l'effusion tranquille à l'explosion. L'écologie devient un véritable sujet de société. Et, par ricochet, s'ancre largement dans les médias et l'édition. Après de fastes années, le rayon « reste toujours en développement et en croissance mais est aussi plus calme », note Georgia Froman, éditrice chez Wildproject. Soucieuses de s'adresser à un public « sensible à l'écologie mais non expert du sujet », comme l'indique Thomas Bout, cofondateur avec Anne Fitamant Peter de Rue de l'échiquier, les maisons diversifient désormais leurs approches. Qu'elles portent sur le fond ou sur l'objet-livre avec des formats plus courts, plus graphiques ou la création de collections au format poche.
Fondatrice de Terre Urbaine en 2020, Anne-Solange Muis constate une « appétence des lecteurs et lectrices pour des ouvrages concrets qui répondent à leurs questionnements ou qui dénoncent de manière incisive » et a réorienté son catalogue en conséquence. La Découverte jongle ainsi entre trois principales approches. Aux textes de sciences humaines - comme avec sa novatrice Histoire environnementale de la France dont les deux premiers volumes collectifs, La nature en révolution puis Les natures de la République, paraissent respectivement le 20 mars et le 7 mai - s'ajoutent des « enquêtes journalistiques approfondies qui révèlent des scandales », explique la directrice commerciale et marketing Stéphanie Gautheret. C'est par exemple le cas de Criminels climatiques de Mickaël Correia publié en grand format en 2022 et réédité en format poche le 10 avril. Et avec ses labels « Zones » et « Les empêcheurs de penser en rond », la maison opte pour « des analyses rigoureuses et engagées, offrant une lecture critique des enjeux contemporains » à l'image d'Apprendre et lutter au bord du monde de Laurence Marty (Les empêcheurs de penser en rond, 15 mai).
Diversité
Les approches se multiplient, les sujets se diversifient. « L'écologie peut s'aborder sous de nombreux angles, insiste Georgia Froman. Avec l'Association pour l'écologie du livre, nous avons lancé en 2022 une formation de deux jours pour aider libraires et bibliothécaires à concevoir ou améliorer un rayon écologie. Nous leur expliquons notamment que le sujet est comme une chaîne de montagnes : il est difficile d'avoir une vue d'ensemble mais nous pouvons toujours explorer différentes crêtes et vallées. »
Et cela se vérifie en un coup d'œil porté aux programmes. Wildproject s'intéresse à l'industrialisation de la cantine scolaire avec Les cuisines de la nation de Geneviève Zoïa et Laurent Visier (15 janvier) puis dresse « un état des lieux de la recherche sur l'écologie en France » dans Mais qui enseigne l'écologie ? avec son fondateur Baptiste Lanaspeze et son éditeur Marin Schaffner (11 avril). Les Liens qui libèrent reviennent sur la révolution provoquée par l'ADN environnementale dans Un autre monde de Benjamin Allegrini (2 avril) quand Terre vivante propose de Renouer avec le vivant à travers les jardins refuges présentés par Aymeric Lazarin (23 janvier). Nathalie Cabrol explore des liens entre l'habitabilité planétaire, l'environnement et la quête de vie dans l'univers dans Inséparables (Julliard, 16 janvier).
Chez Ulmer, Christophe Gatineau alerte sur la disparition de la mine d'or nutritionnelle que représentent nos déjections pour le sol dans Ne tirons plus la chasse ! (30 janvier) et Samuel Bonvoisin, François Goldin et Antoine Talin invitent à Cultiver l'eau douce (17 avril). Dans le catalogue de Rue de l'échiquier, Jacques Caplat imagine un système agricole respectueux du vivant dans Agriculture industrielle, on arrête tout et on réfléchit ! (21 février), Quentin Ghesquière propose des pistes d'actions pour « faire face au réchauffement climatique » dans S'adapter ou mourir (21 mars) et Flore Berlingen estime que le recyclage devrait changer de modèle dans Du bon usage de nos ressources (25 avril). Après un focus sur la conception Bioclimatique en architecture par Clément Gaillard (septembre 2024), Terre Urbaine programme au 22 mai un ouvrage collectif dirigé par Agnès Sinaï sur l'Écologie des biorégions. Le Passager clandestin prépare le beau livre Habiter ensemble autrement de Michel Bernard avec les photographies d'Anne-Sophie Clémençon (7 mars) ainsi qu'un manuel juridique pour Lutter contre les projets imposés et polluants de Chloé Gerbier, Joël Domenjoud et Samuel Delalande (11 avril).
Inclusivité
Cette liste est susceptible de donner le tournis tant les angles pour parler d'écologie sont nombreux. Les vallées et crêtes de cette montagne verte sont cependant loin de s'arrêter là. « Par définition, l'écologie concerne la science des interdépendances », pointe Henri Trubert qui passe au format poche le 2 avril L'entraide : l'autre loi de la jungle de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle. L'ouvrage a reçu le Prix du Livre Environnement en 2018. « Rester strictement sur la question environnementale ne suffit plus, soutient Thomas Bout. Nous ne pouvons plus parler d'écologie sans aborder les enjeux sociaux et politiques au risque, sinon, de s'enfermer dans une position isolée de la réalité du monde. »
Ainsi, la révolution verte infuse la fiction (lire par ailleurs) et emprunte également des perspectives féministes et décoloniales. Au rayon éco-féministe, redécouvert à la faveur d'une intense production éditoriale post-#MeToo, Myriam Bahaffou propose Eropolitique (Le Passager clandestin, 11 avril), Berenice Penafiel livre l'essai d'écologie sociale Femmes à la rue (Terre Urbaine, 11 mars) et Les Liens qui libèrent programment La poule, la hyène, la sorcière et nous : pour des écologies transféministes d'Emma Bigé et Clovis Maillet (9 avril). Au rayon décolonial, Olivier van Beemen enquête dans Au nom de la nature (Rue de l'Échiquier, 21 février) « sur les pratiques néocolonialistes de l'ONG African Parks » chargée de la préservation de la nature sur le continent africain. Avec La Terre donne, la Terre veut (Wildproject, 21 mars), l'auteur afro-brésilien Antonio Bispo Dos Santos critique les modes de pensée coloniaux occidentaux, montrant la déconnexion des humains à la nature et aux animaux. La Découverte passe au format poche À l'est des rêves de Nastassja Martin (15 mai). L'autrice raconte comment un clan du Kamtchatka, en Russie, résiste à la mainmise coloniale et à la crise climatique.
Sensibles à l'écologie sous toutes ses formes, l'ensemble des éditeurs et éditrices interrogées œuvrent aussi à infuser leurs pratiques de cette révolution verte. Et veillent par exemple à proposer une production raisonnée, des tirages ajustés ainsi qu'une seconde vie à leurs titres destinés au pilon. À la tête du Passager clandestin depuis 2019 avec Lucie Berson et Josépha Mariotti, Pauline-Oranna Fousse conclut : « La thématique doit être en cohérence avec nos pratiques. »