Quand le monde va mal, la littérature de l'imaginaire se porte bien. « On doit réenchanter le monde », défend Olivier Girard, créateur des éditions Le Bélial', mentionnant Ray Nayler (Défense d'extinction, paru en mai). Il publie en octobre Cuirassés, d'Adrian Tchaikovsky, récit horriblement drôle sur une guerre entre pays anticapitalistes et puissances consuméristes. Avec l'Intégrale du Bâtard de Kosigan de Fabien Cerutti, Mnémos verse volontiers dans l'humour. C'est sa meilleure vente du premier semestre.
Succès en demi-teinte. La croissance de 2,4 % du marché (porté à 92 millions d'euros) sur la période de juillet 2024 à juillet 2025 est portée par la fantasy et le fantastique (+ 9 %), quand la SF chute de 12 %. Les Moutons électriques ont déposé le bilan en début d'année.
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La vitalité des festivals de genre ? Les Imaginales (Épinal), Trolls & Légendes (Belgique), Les Hypermondes (Mérignac), Les Intergalactiques (Lyon), l'Ouest hurlant (Rennes), Échos et merveilles (Toulouse), Étrange-Grande (près de Thionville) Éric Marcelin, fondateur des éditions Critic, nuance : « Ces foules que l'on rencontre dans les festivals ne sont qu'un microcosme. » La librairie SF des Utopiales (Nantes) dévalisée ? « Les gens viennent faire leurs courses pour toute l'année », commente Pascal Godbillon, éditeur chez Denoël et Folio SF.
En festival, les files s'étirent pour la romance. Après une année record avec 15 % de croissance pour le leader du genre, Hugo Publishing, « 2025 se présente plutôt pas mal, même si beaucoup de monde est arrivé sur le marché », observe son directeur, Arthur de Saint Vincent. À présent, Hugo ne dépassera donc plus les 460 nouveautés annuelles. « Faire mieux mais moins », résume son directeur, comme nombre d'éditeurs.
Le public, lui, s'élargit, observent plusieurs maisons de fantasy : les lecteurs de young adult lisent encore à 30 ans. « Et les auteurs qui écrivaient auparavant pour les ados nous proposent aujourd'hui du young adult. On le ressentira bien l'année prochaine », remarque Olivier Pillé, éditeur chez Rouergue, parlant de sa collection fantasy « Epik », qui fête ses dix ans.
Diversité
L'imaginaire se passe de cases. « Les autrices ne se demandent plus pour qui elles écrivent : elles vont d'un genre à l'autre et affirment leur singularité », constate Pascal Godbillon, mentionnant Margot Dessenne, Maelle Desard, Siècle Vaëlban, Christelle Dabos. Ajoutons la folkloriste et poétesse GennaRose Nethercott (connue pour La maison aux pattes de poulet, édité par Albin Michel), qui revient avec un recueil de nouvelles en octobre. Ou encore Céline Minard et son Tovaangar, paru en août chez Rivages. Grand Prix de l'imaginaire 2022 pour Plasmas, elle est publiée en littérature générale. Comme le professait Glenn Tavennec, directeur du label Verso aux éditions du Seuil, dans une interview donnée en 2024 : « Ce qu'il faut, c'est revenir aux ingrédients qui font les best-sellers : mélanger les genres ! »
Bragelonne s'est mis aux mangas en 2021, avec le label Mangetsu, Hachette Heroes aux adaptations graphiques, comme pour l'adaptation BD du Problème à trois corps de Liu Cixin. « La BD est une porte d'entrée », suggère Brigitte Leblanc, directrice éditoriale du Rayon Imaginaire. Le Livre de Poche a, lui, publié le 20 août la première adaptation BD autorisée par les ayants droits, Le sorcier de Terremer d'Ursula K. Le Guin.
La lucarne indécente vend le roman en alexandrins Yr de Thomas Stalens, mariant robotique et vikings. « Le récit historique attire de nouveaux lecteurs qui y trouvent une caution de savoir », analyse globalement Éric Marcelin.
Imaginaire, vraiment ? Nombre de titres cherchent au contraire à démystifier le surnaturel. Dans l'impressionnante Guerre du Pavot de R. F. Kuang (De Saxus), les dieux ne sont pas responsables du monde qui brûle, ce sont les hommes. Et les héros dotés de pouvoir ne viendront pas les sauver, retient-on encore dans Le royaume en péril de Thomas D. Lee (Christian Bourgois), où la véritable héroïne est une écoterroriste, qui nous rappelle que « Personne n'a besoin que des chevaliers en armures rutilantes viennent nous sauver. On doit se sauver nous-mêmes. »
Brigitte Leblanc a opté pour une couverture blanche sur Le chant des noms de Jedediah Berry, éloignée des codes du genre science-fiction, fantasy, fantastique (SFFF). « Auparavant, beaucoup de personnes lisaient soit de la littérature générale, soit de l'imaginaire. Aujourd'hui, elles lisent les deux, assure David Meulemans, président d'Aux forges de Vulcain. On profite de l'effet Harry Potter. Une fois adultes, les lecteurs conservent une tendresse pour cet univers. » Côté auteur, Éric Marcelin analyse : « On vit dans un monde de SF, on peut lire dans les cerveaux, lancer des fusées, cibler des cellules cancéreuses, alors les auteurs vont écrire naturellement sur des enjeux qui étaient auparavant propres au genre ». L'imaginaire sied bien à l'hallucinante réalité.
Repousser les frontières
Contre le déjà-vu, les éditeurs dénichent des voix singulières par leur diversité géographique. « Malaisie, Chine… On va encore ouvrir notre catalogue, dans un contexte où les esprits ont tendance à se fermer, explique Simon Pinel, cocréateur des éditions Argyll, lorsque nous l'interviewons à une période où les conflits géopolitiques se multiplient. On a besoin d'aller voir de nouveaux imaginaires, ça fait trop longtemps qu'on fait de la fantasy inspirée du Moyen Âge occidental ».
Grosses sorties chez Hachette Heroes : L'Oiseau qui boit des larmes du « Tolkien coréen » Lee Young-Do, infusé des légendes de son pays, et Le trône de Jasmin de l'Indo-britannique Tasha Suri. Et chez Calix, The Hurricane Wars, de la Philippine Thea Guanzon. Bragelonne a publié en juin une autre autrice philippine, Samantha Sotto Yambao avec Water Moon, fantasy à mi-chemin entre l'univers de Ghibli et Tant que le café est encore chaud, et avait publié en septembre 2024 Les portes de Lumière du Sri-Lankais Vajra Chandrasekera.
En 2026, l'autrice japonaise Nahoko Uehashi, l'une des principales autrices de fantasy du Japon, fera son entrée chez Actes Sud. L'objectif pour son homologue « Rivages/imaginaire », collection portée par Valentin Baillehache, est de « continuer à explorer d'autres territoires pour tenir notre promesse initiale de diversité ». Amérique du Sud, Mexique… Le Canadien Evan Winter, d'origine zambienne, voit paraître en octobre le premier tome de sa saga de fantasy adulte africaine The Burning : La Rage des dragons. « Hollywood a fait l'effort d'une plus grande diversité dans le casting de Tolkien, le jeu de cartes Magic a un peu suivi le mouvement, mais le folklore africain est sous-représenté en fantasy », analyse son éditeur. Lacune réparée.
Tandis que d'autres éditeurs se recentrent… sur la France ! Les éditions du Rouergue cherchent à diminuer la part de traductions. Et Bourgois éditera son premier auteur français en janvier.
Le coup de pouce des écrans
Pourquoi Le livre perdu des sortilèges de Deborah Harkness, sorti en 2012 au Livre de poche, voit-il ses ventes rebondir en 2025 ? Car Netflix diffuse cette saga de vampires depuis avril. Même phénomène pour Journal d'un AssaSynth de Martha Wells (L'Atalante) avec la sortie de la série sur AppleTV et Canal+.
Les éditeurs ont saisi le filon. Un nouveau Jurassic Park sort ? Pocket réimprime le roman de Michael Crichton. Et Dune, chef-d'œuvre de Frank Herbert adapté dernièrement par Denis Villeneuve, figure toujours en bonne place dans son catalogue. En parallèle de la sortie du film, la collection « Ailleurs et Demain » (Robert Laffont) a révisé toute sa traduction de la saga. « Les adaptations, c'est du pain béni pour les éditeurs. Pour le collector de Dune, les 15 000 ventes ont dépassé nos attentes », illustre sa directrice littéraire Camille Racine.
Avec Silo de Hugh Howey ou The Expanse de James S. A. Corey, Actes Sud n'est pas en reste. Et en 2025, la maison surfe sur la série du Problème à trois corps pour publier le nouveau roman de l'auteur, Liu Cixin, Des dinosaures et des fourmis.
Hugo Publishing - dont la bonne fortune repose en partie sur les ouvrages de Colleen Hoover, autrice vectrice de 920 000 ventes en 2024 adaptée au cinéma et sur Prime Video - fait même du cross marketing avec Netflix, prévoyant une sortie concomitante du film et du livre Damsel d'Evelyn Skye. Stratégie à double tranchant, prévient Arthur de Saint Vincent : « Quand un film est mauvais, ça n'aide pas. » Le film Life of Chuck, vanté par la presse, est tiré d'un recueil de nouvelles de Stephen King. Problème : l'ouvrage ne porte pas le même nom - Si ça saigne, publié chez Albin Michel. Mais ce qui importe peut-être davantage que le titre ici, c'est le nom de l'auteur. Donc c'est gagnant.
Retrouvez en document lié en haut à gauche de cet article le PDF du classement Livres Hebdo / Gfk des meilleures ventes d'imaginaire d'août 2024 à juillet 2025.





