De Cinq mille kilomètres par seconde (Atrabile, 2010), qui a obtenu un Fauve d'or à Angoulême, à L'entrevue et Les variations d'Orsay (Futuropolis, 2013 et 2015) ou encore Celestia (Atrabile, 2020), Manuele Fior fait partie de ces dessinateurs qui adaptent leur style à chacun de leurs projets tout en conservant leur patte. Chez lui, une subtilité des lignes, précises et fragiles à la fois, d'infimes variations de tons, qui apportent la rondeur à ses formes, une attention particulière aux regards de ses personnages distillent une forme de mystère.
On retrouve cette atmosphère discrètement énigmatique dans Hypericon. Clin d'œil aux classiques Hergé et E.P. Jacobs, le dessinateur italien installé à Oslo met en perspective la découverte en 1922 par l'archéologue britannique Howard Carter de la tombe de Toutânkhamon (né vers -1345, mort vers -1327), et le parcours de Teresa, une brillante étudiante en archéologie. Celle-ci est venue participer, à Berlin en 1998, à la préparation d'une exposition dédiée au célèbre pharaon. Mais, prise dans le double engrenage de sa passion et de ses pulsions, à la manière des égyptologues déraillant parmi les trésors et les malédictions des pyramides, elle va vivre cette expérience dans un tourbillon de sentiments où se réfractent - une constante chez Manuele Fior - les lignes de l'espace et du temps.
La distorsion est provoquée, le jour même de son arrivée à Berlin, par sa rencontre dans un bus avec Ruben, un personnage dans lequel on imagine que l'auteur, qui a lui-même vécu quelque temps dans la capitale allemande au début des années 2000, a investi une part de lui-même. Ce jeune Italien chaleureux et fantasque fuit dans un squat de la ville l'emprise de son riche paternel, au crochet duquel il vit néanmoins. Accouché dans les doutes, les tensions, les allers-retours et, par-dessus tout, l'excitation de la découverte des trésors du pharaon, un amour va se nouer. Manuele Fior en sublime les dimensions les plus obscures en transcendant les siècles et la géographie.
Et l'hypericon dans tout cela ? Du latin hypericum, il s'agit de la fleur de millepertuis, utilisée pour traiter l'anxiété, la dépression, l'insomnie et, dans l'Antiquité, chasser les démons, ce qui, somme toute, revient au même. Par l'intermédiaire de Teresa, Manuele Fior en livre l'étymologie grecque en forme de clé pour la compréhension de son œuvre : huper-eikon, soit au-dessus de l'image, « ou peut-être, précise-t-il, au-delà de l'image, voir au-delà », et même, ajoute-t-il encore, « voir le futur ».
Hypericon
Dargaud
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 23 € ; 144 p.
ISBN: 9782205089813