La scène littéraire est en crise. C’est le constat alarmant dressé par le Réseau des événements littéraires et festivals (RELIEF), qui fédère plus de 60 manifestations littéraires à travers le monde. À l’occasion du festival du livre de Paris 2025, l’association lance un appel à l’aide et a dénoncé, au cours d’une table ronde, des coupures budgétaires qui menacent les manifestations. Elle appelle à « la mobilisation face à la dégradation continue de la situation budgétaire du secteur ».
« Nous avons rédigé cette tribune car nous éprouvons une inquiétude profonde »
Étaient présents pour l’occasion Olivier Chaudenson, président du réseau RELIEF, et la vice-présidente Carine d’Inca, ainsi que les co-signataires de la tribune : Marina Corro, présidente de Club 99, Fédération des festivals BD et arts associés (19 festivals) et Régis Le Ruyet, co-président de la Fédération des Salons et Fêtes du livre de jeunesse (23 festivals).
« Nous avons rédigé cette tribune car nous éprouvons une inquiétude profonde. Depuis dix ans, nos subventions stagnent, tandis que le coût de la vie ne cesse d’augmenter, amplifié par l’inflation. Conséquence : nos moyens financiers se sont considérablement réduits. À cela s’ajoute un désengagement croissant des collectivités territoriales, qui aggrave encore la situation », a déclaré Olivier Chaudenson, à l’initiative de cette table ronde.
RELIEF regroupe, depuis 2005, des festivals littéraires partout dans le monde. Après avoir fait peau neuve en décembre 2022, le réseau, regroupant notamment l’Escale du livre de Bordeaux ou encore les Midis de la Poésie à Bruxelles, tire le signal d’alarme et a fait appel au Centre national du livre (CNL) et à la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (SOFIA) pour créer un comité de crise.
Une situation financière intenable
D’après les différents intervenants, le problème ne réside pas dans la fréquentation, bien au contraire. Pour Carine d’Inca, « il y a une réelle envie du public, mais les budgets stagnent. Bien que ce soit paradoxal, les premiers touchés par ces coupes budgétaires sont les plus gros événements. »
Le groupe dénonce dans son communiqué la vulnérabilité de la littérature de scène, car plus jeune et moins organisée. Peu soutenue par les partenaires privés, elle ne peut pas non plus compter sur les aides publiques. Olivier Chaudenson a évoqué dans son discours des « coups de tronçonneuse », en référence aux politiques d’austérité menées par Javier Milei en Argentine.
Dans ses revendications, RELIEF appelle à la prise en compte de l’inflation dans les aides accordées aux événements, ainsi qu’à une plus grande sensibilisation des acteurs territoriaux à l’importance économique et culturelle de ces manifestations. Les enjeux sont les suivants : « Soutenir une vie littéraire qui anime la chaîne du livre, conforter le revenu des auteurs, lutter contre le désintérêt pour la lecture, encourager la littérature de création. »
« Le syndrome de Bron »
Le cas de la région Auvergne-Rhône-Alpes est particulièrement symptomatique de cette crise budgétaire. Pour en parler, étaient invités Laurent Bonzon, directeur de l'association Auvergne-Rhône-Alpes Livre et Lecture, et Lucie Campos, directrice de la Villa Gillet à Lyon, en charge du festival Littérature Live 2025.
Pour illustrer leurs propos, les intervenants ont évoqué à de nombreuses reprise le cas de la Fête du livre de Bron, ou « syndrome de Bron » comme l’appelle Olivier Chaudenson : « C’est la disparition d’un festival à la suite d’un découragement et d’un épuisement des équipes », analyse-t-il.
Après 39 années de célébration, la Fête du livre de Bron, ne sera en effet pas renouvelée en 2025. Une onde de choc dans la profession. « Je pourrais créer une association de l’interprofession atterrée par cette disparition », ironise Laurent Bonzon. L’écrivain témoigne de la surprise générale du monde du livre à la fermeture du festival, symptomatique d’une crise silencieuse : « Ils n’ont pas été entendus. Aujourd’hui, ce sont 30 000 visiteurs qui sont restés sur le carreau. »
L’exemple de la région Auvergne-Rhône-Alpes
Au-delà du cas de Bron, les intervenants interpellent sur une fragilisation globale dans la région. La Fête du livre de Villeurbanne, par exemple, n'a plus de directrice, partie récemment, et dont le poste n’a toujours pas été pourvu.
Laurent Bonzon poursuit : « Lyon compte une soixantaine de librairies, c’est l’équivalent d’un festival deux à trois fois par semaine, mais ce n’en est pas un. Un festival, c’est un accompagnement de l’actualité et la garantie de la bibliodiversité, dont on parle particulièrement en ce moment, surtout avec la concentration éditoriale. »
S’ensuit le témoignage de Lucie Campos. En place depuis 36 ans, l'événement a vu son budget chuter brusquement en avril 2022, suite au retrait de la région. « Ce sont 350 000 euros qui ne sont jamais revenus », déplore-t-elle. Pour y remédier, des coupes sont envisagées dans la technique, le nombre d’auteurs, la communication, mais sa fondatrice déplore une impasse : « Réduire un auteur à un livre et un micro, c’est dommage. » Un cercle vicieux mis en lumière par RELIEF dans sa tribune.
Appel à la Sofia et au CNL
Suite aux différentes interventions, Olivier Chaudenson a interpellé les membres du CNL et de la Sofia présents dans le public : « Vous êtes les seuls partenaires dédiés de la vie littéraire. Vous restez nos meilleurs alliés. »
Un représentant de la Sofia a pris la parole, évoquant le soutien de 4 millions d’euros accordé par la société aux festivals, ainsi que l’organisation des États généraux des Festivals et Salons du Livre, dont le deuxième acte s’est déroulé en octobre dernier. « Malheureusement, ça n’a pas été suffisant, mais ça a permis de répondre à plusieurs questions », défend ce dernier au micro.
La Sofia s’est également engagée à participer au comité de crise demandé par RELIEF, « Il est primordial pour nous de sauver les festivals. » En revanche, à l'image du CNL qui a pris la parole par la suite, l’aide apportée ne pourra pas être budgétée, les deux associations ne bénéficiant pas de ressources plus importantes.
Marc Beaudeau, adjoint délégué aux manifestations littéraires au CNL, invite d'ailleurs RELIEF à interpeller les collectivités territoriales et les Directions régionales des affaires culturelles (DRAC).
Des réactions agréablement accueillies par Olivier Chaudenson, interrogé par Livres Hebdo : « Ça me fait plaisir, ils sont prêts à nous écouter. C’est un premier pas. Il faut mobiliser les autres financeurs, mener des actions de sensibilisation au mécénat par exemple. Le CNL et la Sofia nous aideront à construire ensemble une prise de parole plus large. »