Tombé du ciel. Une nuit claire de décembre 1943, au-dessus de Berlin, un bombardier britannique est touché. Les moteurs s'embrasent et l'appareil plonge. À son bord, un jeune journaliste américain de 24 ans. Il se nomme Lowell Bennett. Il saute en parachute comme les autres membres de l'équipage et il est arrêté. Mais avant d'être conduit dans un camp de prisonniers, les autorités allemandes lui proposent de traverser l'Allemagne pour lui montrer comment la population civile vit sous les bombes alliées. Évidemment, il s'agit de propagande, mais l'œil du reporter sait faire la part des choses et le constat est sans appel dans ce Berlin pulvérisé. En compagnie du lieutenant de la Luftwaffe Joseph Borner, ancien représentant de commerce en Angleterre et aux États-Unis, il traverse une cité désertée et sans enfants. Borner lui demande alors de sillonner avec lui ce Reich en feu et en cendres. Partout, il constate un « grand néant » où s'agitent des prisonniers chargés de déblayer. La litanie des ruines se répète à Brême, à Münster et ailleurs. La Ruhr aussi est ravagée. À chaque page, ce ne sont que débris, gravats et cadavres. « Je découvrais un aspect de la guerre qui me perturbait profondément. » Face à l'officier allemand qui vante les réalisations de son pays, il saisit aussi l'ampleur des dégâts dans les esprits. Face à une idéologie pareille, que faire ? « Le bombardement est un outrage moral, même si la finalité est juste. » En profitant de l'occa-sion qui lui a été donnée, le journaliste saisit l'équation insoluble.
À la fin de la guerre, Lowell Bennett s'empresse de publier ce témoignage qui condamne sans ambiguïté le fait de viser délibérément les civils dans un conflit, quel qu'il soit. On pense bien sûr aujourd'hui aux multiples exactions de l'armée russe dans la guerre en Ukraine avec le choix de cibler les immeubles d'habitation ou les hôpitaux. Voilà pourquoi le récit de Lowell Bennet, traduit pour la première fois en français par son fils Alan, est universel.
Le reporter n'est pas dupe des manipulations des nazis, mais il constate aussi la réalité des atrocités commises au nom de la doctrine cynique selon laquelle la fin justifie les moyens. Il a le don pour décrire simplement un paysage, une ambiance, une inquiétude, à tel point qu'on pense à James Salter en le lisant. On est avec lui dans l'avion au-dessus de Berlin, à près de 7 000 mètres, intouchable par la DCA mais pas par les chasseurs. « Toutes les armes de la création s'étaient rejointes dans ce grand spectacle impressionnant et fantastique de lumières et de couleurs. » Dans ce vacarme d'acier, les incendies ressemblent à des enfers dantesques. Puis c'est la descente terrifiante, dans le froid, au milieu des avions qui chutent eux aussi dans un ciel de chaos. Libéré le 1er mai 1945 d'un stalag sur la côte baltique, Lowell Bennett est mort en 1997 à l'âge de 77 ans. Son récit demeure un témoignage stupéfiant sur cette mort qui tombe du ciel et sur ce qu'il nomme la « boucherie des Européens ».
Parachuté sur Berlin
Editions Nuvis
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 19 € ; 375 p.
ISBN: 9782363673039