Statue Cau. Qui s'en souvient ? Qui se souvient vraiment de cet enfant du Midi, de ce petit paysan de l'Aude, que les Trente Glorieuses réinventèrent en prince ombrageux de Paris ? Voilà plus de trente ans que Jean Cau (1925-1993) s'en est allé et que s'est dissipé tout à fait le fracas de ses foucades, de ses emportements, de son tempérament d'infatigable bretteur. Les hommes tels que lui, jusque dans leurs excès, manquent sans aucun doute au débat moral, politique, littéraire d'un paysage en la matière devenu lénifiant. La mesure n'était pas dans sa nature bien sûr et Cau en faisait parfois − souvent ? − trop, mais au moins n'était-il jamais frappé par la maladie contemporaine de l'indifférence et combattait-il à la loyale, avec pour seule arme, celle, grandiloquente, du style.
Une œuvre ? Inégale et profuse peut-être, mais qui atteint parfois des sommets. Il suffit pour s'en convaincre de lire ou relire son admirable Croquis de mémoire (Julliard, 1985 ; La Table Ronde, 2018). Une vie alors ? Ô combien telle que la retracent avec une empathie scrupuleuse Ludovic Marino et Louis Michaud (ni l'un ni l'autre n'étaient nés lorsque Cau tira sa révérence), qui délaissent pour un temps relations publiques et cabinet politique pour une première incursion en littérature. On découvre dans cette première biographie de l'écrivain combien il était secret et ne goûtait donc guère l'exercice. Barthes − qu'il n'aimait pas plus − écrivit un jour : « il n'est pays que de l'enfance. » Pour Jean Cau en tout cas, c'est vrai. Jamais il ne s'éloigna de ce qu'il était d'abord, le fils d'un paysan et d'une femme de ménage. Cet enfant de la République pourra ensuite fréquenter les plus glorieuses éminences, c'est le gamin de Bram et de Carcassonne qui s'y trouva mêlé. Ensuite, il y eut les heures riches, celles du secrétariat de Sartre et de Combat, pendant plus de dix ans. Cau eut toujours besoin d'admirer. Il fut alors servi. Ensuite, il y eut le temps des guerres et des victoires. Le jeune homme existentialiste quitta progressivement les rivages de la gauche, à laquelle on avait cru à tort qu'il appartenait, pour ceux du camp d'en face, se forgeant au passage une image de statue du commandeur d'une droite à la fois orpheline de l'Algérie et confite en dévotion pour le général de Gaulle... De L'Express à Paris Match, les causes qu'il embrassa alors ne furent pas toujours heureuses (il n'est qu'à se souvenir de son effroyable misogynie qui lui fit combattre l'idée qu'une femme puisse endosser la robe noire de l'avocat), mais il fut aussi, en matière géopolitique notamment, parfois mieux inspiré. C'est cette trajectoire percluse de complexités que retracent ses biographes. Ils sont en tous points fidèles à leur sujet, jusque dans leur discrétion à évoquer sa vie privée dont cet homme, qui goûtait autant l'ombre que la lumière, entendait qu'elle le reste. De toute façon, la vérité de cet aficionado était sans doute sur le sable des arènes, qui lui inspirèrent quelques-unes de ses plus belles pages. Le reste lui appartient.
Jean Cau, l'indocile
Gallimard
Tirage: NC
Prix: NC € ; 336 p.
ISBN: 9782073051400