« Le Journal des écrivains fait par des écrivains », lit-on sur l’oreille droite de Service littéraire, un nouveau mensuel, n°2, novembre 2007. Le n° de décembre – n°3 – est annoncé pour le 20. Une oreille, c’est un petit carré de texte au coin supérieur d’une page de titre, sur la gauche ou sur la droite. Service Littéraire tient à son indépendance. Comme le Canard Enchaîné , il refuse la publicité. Aux puissances d’argent, Service littéraire peut répondre comme Danton : « Moi, corruptible ? Non, citoyens : je suis impayable !». Huit pages, donc, bien moins serrées que celles du Canard . Un dessin de Wiaz fait la Une. On reconnaît Alain Robbe-Grillet. Celui-ci reçoit un nuage de fumée, poudre aux yeux, issu d’un porte-cigarette dont on devine qu’il est celui de Philippe Sollers, réduit de la sorte à sa plus simple expression. Le titre principal : « Robbe vraiment grillé » et le titre secondaire : « Sollers au Muppet show » sont ainsi fédérés. Ce triple assaut révèle au lecteur que la défunte avant-garde va en prendre un coup. C’est le cas : on étrille Roman sentimental de Robbe-Grillet puis les mémoires de Sollers. Garanti sans scoop Exception faite du bref « édito » signé par François Cérésa, directeur de la rédaction, et du « franc parler » signé par Michel Déon – un éloge du roman comme genre – ce sont les critiques de livres qui dominent : Service littéraire en présente une vingtaine dans son n°2. Quant aux indiscrétions, rumeurs, impertinences et autres pavés dans la mare – toutes choses attendues d’un journal s’autoproclamant sans pitié – il ne s’en trouve nulle part. Les neuf « brèves » d’ Ecrits et chuchotements (Emmanuelle de Boysson) ne peuvent prétendre au scoop, vu les délais de fabrication. Pas d’enquêtes, non plus, ni de reportages, ni de synthèses. Normal. Ce serait du journalisme. Ce serait oublier l’oreille : « Le Journal des écrivains fait par des écrivains » ! La vie des journalistes devient dure. Pour peu que nous ayons commis un livre, Nelly Kaprièlian nous tombe dessus à plume raccourcie : artistes ratés, jaloux, magouilleurs. Tout de même, on s’accroche. On résiste. On est journalistes. On écrit aussi des livres, pourquoi pas ? Mais c’est alors le Service qui vous snobe : pauv’critique, pauv’encarté de ta carte. Va donc, eh, pigiste ! Not’journal à nous, ça c’est du pur, Môssieur, du vrai de vrai, bien d’chez nous. Un journal d’écrivains cousu main, méthode traditionnelle. Après « tous pourris » (l’air de Kaprièlian), voici « la France aux Français ». L’écriture aux écrivains ! Critiques go home ! Qu’une encre pure a-âbr œu ve nos colonnes ! Une encre d’Ecrivain, avec un E majuscule. Là, « le mensuel de l’actualité romanesque » – tel est le sous-titre de Service littéraire – fait très fort. Les vrais écrivains 100% vélin numérotés qui signent ce mois-ci sont, notamment, François Cérésa, Claire Castillon, Eric Neuhoff, Bruno de Cessole, Bernard Morlino, Christian Millau, Gilles Martin-Chauffier, François Bott, Frédéric Vitoux… Soit ces intrépides iconoclastes ont des clones homonymes dans la presse qu’ils feignent tant déprécier, soit le Service Littéraire nous joue le mistigri : ses écrivains ont signé, ou signent, dans des journaux qui ne sont pas les moindres. Ils y exercent parfois d’importantes responsabilités. Ils sont d’ailleurs, de ce fait, des artistes ratés selon la norme établie par la circulaire Kaprièlian RCK 20071127 qui dénie toute compétence critique à un auteur d’ouvrage. J’attends avec impatience de savoir ce qu’est un « écrivain » selon Service littéraire . L’oreille droite nous l’a dit : certains écrivains sont visiblement plus écrivains que d’autres ; et ces écrivains-là, les Ecrivains majuscules, échappent à la piétaille des auteurs d’articles. En attendant cette définition – comment distinguer un Ecrivain d’un écrivain ? – je cherche des réponses dans le journal. Les Hussards sur le retour L’ édito de François Cérésa repose sur un principe original et fort : « Nous nous efforçons d’écrire ce que nous pensons et non pas ce qu’il faut penser ». On comprend que cette belle équipe cache un bataillon d’anticonformistes : les Serviteurs du Littéraire, la brigade SL, reconnaissable à l’oreille droite. Tous luttent avec une force prométhéenne contre un jacobino-léninisme warholien et mondialisé. Ils se réclament, pour cette lutte finale, d’un Titan de l’innovation : Michel Déon. A qui fera-t-on croire que l’urgence 2007 serait de combattre un ouvrage exténué de Robbe-Grillet, de s’en prendre à Sollers qui ne trompe plus personne et d’attaquer un Umberto Eco quasiment à la retraite ? Tout cela pour nous proposer, en échange, page 2, un retour à Jean Cau. Là, c’est vrai, on sent monter un séisme littéraire comme nous n’en avons plus connu depuis le surréalisme ou le Nouveau Roman. Jean Cau est une idée neuve en Europe. Il y aura un avant et un après J.-C. Ces Mille Fleurs du roman français – le vrai roman d’Ecrivain – auront également un prophète : Patrick Poivre d’Arvor. Il reçoit, dans Service littéraire , l’éloge suprême : « Présenter le 20 h et être écrivain, c’est possible ». A côté de cela, Service littéraire pourfend l’évanescente Rêveuse d’Ostende d’Eric-Emmanuel Schmitt, l’ Artefact moribond de Maurice Dantec et s’en prend à La Joie de Mo Yan, écrivain chinois dont on ne peut pas dire qu’il exerce, chez nous, une dictature intellectuelle. Il faut pourtant savoir lire entre les lignes. Au travers du terrible Chinois, la brigade SL vise les « cuistres » que « ce texte d’avant-garde » [ La Joie ] plongerait, paraît-il, dans une « transe extatique ». Je cherche encore l’avant-garde chez Mo Yan. Et je cherche les transis du moyanisme. Une accroche, toutefois, donne l’indice : Mo Yan serait le Claude Simon chinois ! D’où sort cette incongruité? Qu’importe : Mo Yan paiera pour l’infâme. Il faut, chez les SL, pourfendre tout ce qui approche de près ou de loin Claude Simon, l’homme qui reçut le prix Nobel au lieu de Félicien Marceau, de Françoise Sagan ou de l’auteur du Hussard bleu, mais rappelez-moi donc son nom. Ce « Journal des écrivains fait par des écrivains » est donc un gag, un poisson d’avril pour temps de Noël. Tel le Petit Caporal, je tirerais volontiers l’oreille droite de ces grognards revanchards, survivants de toutes les Bérézina. Mais deux choses me choquent. Deux penchants propres aux Hussards de la première génération : s’en prendre à l’apparence physique de ses adversaires (ainsi de Séréna contre Sollers) et jouer de façon douteuse sur les patronymes (« Robbe grillé », « Bruits d’Eco », etc). C’est l’attaque ad hominem chère à Gringoire et aux polémistes maurrassiens – souvent concurrents, dans cet exercice, avec les staliniens. « Tout ce qui est neuf n’est pas nouveau », dit Bernard Morlino à propos de Dantec. Il nous rend le seul service littéraire de ce journal. Nous dire la chute. Références . Le numéro : 2,50 €. Prochaine parution : 20 décembre : servicelitteraire@servicelitteraire.com