Le titre original du livre, Nuestros anos verde olivo (« Nos années vert olive », allusion à la couleur préférée de Fidel Castro pour ses uniformes et ceux de ses soldats), en donne bien le ton - une espèce d’humour mélancolique - et en définit par avance le projet : très autobiographique, le roman raconte les tribulations picaresques, tragi-comiques, d’un jeune Chilien en exil, volontaire et enthousiaste au début, à Cuba. Lyrique à son arrivée, son illusion révolutionnaire va assez vite se dissiper, confrontée à la dure réalité. L’île caraïbe, qui a tout pour être un paradis, est une dictature ubuesque où tout est entièrement sous contrôle, où le peuple manque de tout, de pain et de liberté, alors que la nomenklatura du régime jouit de tous les privilèges, au nom d’une pseudo-guerre totale contre l’impérialisme incarné par le Grand Satan américain, si proche : Miami et sa diaspora farouchement anti-castriste se trouvent juste en face, à quatre-vingt-dix miles. D’où les tentatives désespérées des balseros pour gagner l’autre rive, sur des embarcations de fortune, au péril de leur vie. D’un côté, « Vinceremos » ; de l’autre, « La liberté ou la mort ».
On est dans les années 1970, à l’époque de la guerre froide entre le bloc de l’Est socialiste et l’Ouest capitaliste, quand la lutte idéologique voulait encore dire quelque chose. Roberto Ampuero est un jeune étudiant chilien issu de la petite-bourgeoisie. Son militantisme communiste le contraint à fuir - miraculeusement - son pays, lors du coup d’Etat de Pinochet contre Salvador Allende en 1973. Réfugié d’abord à Leipzig, il y rencontre Margarita, la fille d’Ulisse Cienfuegos, un « fidelista » fanatique, ancien procureur général à La Havane, férocement répressif, nommé ambassadeur à Moscou. Coup de foudre. Le père accepte cette union contre nature, à condition que le jeune couple aille vivre à Cuba.
En juillet 1974, donc, Roberto et Margarita s’installent dans la somptueuse villa de Miramar confisquée à ses anciens propriétaires et attribuée par Castro au camarade Cienfuegos, où le mariage est fêté comme il se doit, en présence de nombreux dignitaires. Fidel en personne envoie ses félicitations et de l’argent en cadeau. Roberto poursuit ses études, savoure son bonheur. Un fils, Ivan, ne tarde pas à naître. Mais le jeune homme commence à découvrir l’envers du décor : il fréquente des « désenchantés », comme le poète Heberto Padilla, l’une des bêtes noires du régime, et prend la mesure de la misère et de l’oppression du peuple, de la folie de ses dirigeants : Fidel et ses plans délirants, Raul, son frère, homophobe hystérique, idéologue radical et censeur sans scrupule de tous les livres « subversifs ». Surtout, il refuse de devenir cubain dans l’espoir de rentrer un jour chez lui. Le couple se déchire, divorce, et Roberto, privé de tous ses privilèges, va vivre de sacrées années de galère.
Le roman s’achève un peu en queue de poisson, mais on se doute bien que le héros-narrateur s’en est sorti. La preuve : Roberto Ampuero est actuellement ministre de la Culture au Chili. J.-C. P.