Depuis quelques semaines, une querelle sordide oppose l’AFP au photographe Daniel Morel. Le cliché litigieux représente une jeune Haïtienne sortant des ruines. Elle a été prise le 12 janvier dernier — jour du tremblement de terre — et postée sur Twitter pat son auteur. Un internaute se l’est appropriée et Getty images comme l’AFP commercialisent depuis cette photo à travers le monde entier. Attaquées par Daniel Morel, les deux entités se réfugient derrière l’argument selon lequel l’image serait devenue « libre de droits ». Mauvaise stratégie, aussi immorale que juridiquement intenable. Premier écueil : le droit moral impose de mentionner le nom de l’auteur. Il est inaliénable, incessible, etc. Bref, Daniel Morel ne l’a pas abandonné en « twittant » son image. Quant à l’abandon des droits dits patrimoniaux, il ne procède pas d’une simple publication sur un réseau social, quelles que soient ses conditions générales d’utilisation affichées en s’inscrivant, souvent contraires aux traités de lois nationaux comme aux traités internationaux en matière de propriété intellectuelle ; et donc illégales et inopérantes. Pour comprendre le mécanisme des œuvres dites « libres de droits » il suffit d’observer les tenants du « copyleft », depuis le célèbre logiciel Linux jusqu’aux « creative commons » nés dans le domaine musical. Ces modèles sont tous bâtis sur une utilisation fine de la propriété intellectuelle et non sur un déni de celle-ci. Linux a été lancé par le Finlandais Linus Torvalds. Celui-ci avait pris l’initiative, il y a déjà une quinzaine d’années, de laisser à disposition de chacun le code-source qu’il avait développé. Les principes en sont simples : liberté « d’exécuter » le programme pour tous les usages, liberté d’étudier le programme et de l’adapter à ses propres besoins, liberté de redistribuer des copies, liberté d’améliorer le programme et de publier ces améliorations pour en faire profiter tout un chacun. S’appuyant sur ce « logiciel libre », d’autres trublions ont perfectionné l’outil qui a ainsi été adopté par des nombreux utilisateurs, et en particulier par des entreprises comme par l’administration française. Et ce, sans compter les centaines d’autres licences de même type proposées pour des logiciels en tout genre ou des publications. Avec le succès de ces logiciels en open source , certains ont été prompts à évoquer un copyleft, voire une gauche d’auteur, par opposition aux traditionnels copyright et droit d’auteur. Un des modèles de licence de ce type les plus répandus ne s’y trompe pourtant pas. Car il s’agit bel et bien d’une forme de licence, et non d’un abandon pur et simple des mécanismes de la propriété intellectuelle. La licence prévoit en effet en toutes lettres les conditions d’accès à une utilisation sans autorisation à demander et redevances à verser. Il peut s’agir, par exemple de l’interdiction de procéder à tel ou tel type de modification ; ou encore de battre monnaie à partir du logiciel obtenu gracieusement, etc. Le copyleft peut s’appliquer à d’autres créations que des logiciels. C’est ainsi que le milieu musical « alternatif » a mis en place des licences dites de « creative commons ». Il s’agit, là encore, d’indiquer clairement et expressément que chacun peut participer à l’enrichissement d’un site en y apportant ses propres morceaux, et à l’autre bout de la chaîne y piocher gratuitement de la musique, sous réserve de respecter quelques règles de base, toutes articulées autour du droit de la propriété littéraire et artistique. En matière musicale, il existe, par exemple, une licence dite « open music ». Celle-ci s’appuie sur la liberté de diffusion, d’adaptation (sauf indication contraire de l’auteur de départ à propos de certains passages), de redistribution (gratuite ou payante, déterminée, là encore, par l’auteur d’origine). Autre exemple, cette fois dans le milieu de la recherche, où une pétition a connu un certain succès en 2001. Plus de 30 000 signatures avaient été recueillies, y compris parmi les plus récompensés, notamment par le Nobel, des membres de cette communauté. Le but était de faire plier les grands éditeurs de revues qui s’arrogent les droits des contributeurs appartenant souvent à la sphère publique, tout en fixant des tarifs prohibitifs à l’abonnement, voire dissuasifs pour les pays du Sud. Un collectif de scientifiques, agissant sous le nom de Public Library of Science (PloS), a finalement jeté le trouble dans le monde feutré et lucratif des revues spécialisées. PloS Biology a été lancée à l’automne 2002 et a trouvé rapidement sa place aux côtés des célèbres Nature ou Science. PLoS Medecine devait suivre, à peine un an plus tard. Cette fois, c’est l’ open access qui est brandi. La version internet est gratuite pour tous. Et il est possible de s’abonner, contre paiement, à la version papier. Alors que d’ordinaire seul l’abonnement papier donne droit à la possibilité de visualiser en ligne le même contenu… Précisons toutefois que les laboratoires désireux de publier chez PLoS doivent s’acquitter d’un droit d’entrée, générant ainsi une nouvelle forme de discrimination par l’argent. C’est pourquoi George Soros finance, via sa fondation, des revues entièrement gratuites. Les publications scientifiques reposant sur ces modèles représenteraient environ 10 % de l’ensemble de la production éditoriale de ce secteur. Mieux encore, les produits de grande consommation commencent à être disponibles sous forme de copyleft. C’est ainsi que le magasin danois Copyshop est devenu le nec plus ultra de la gauche d’auteur. En quelques temps, la Free Beer est devenu son produit le plus spectaculaire. Conçu au sein même de l’Université des nouvelles technologies de Copenhague, le breuvage peut être reproduit ou commercialisé directement à partir notamment d’une formule de fabrication rendue totalement publique sur le principe de l’ open source ; qui ne croyait pas si bien porter son nom. Agence de presse ou éditeur, mieux vaut y regarder à deux fois avant de croire ou d’invoquer la supposée manne des « libres de droits ».