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Librairie: le défi formation

L'INFL fait appel à de nombreux experts, dont Nadia Ducerf qui donne ici un cours sur les prix littéraires. - Photo Olivier Dion

Librairie: le défi formation

Sous la pression de la concurrence du commerce en ligne, qui les oblige à relever leur niveau de professionnalisme, les libraires affichent de nouvelles exigences vis-à-vis des organismes de formation. Ces dernières doivent faire face à de multiples contraintes pour s'adapter aux besoins de la génération émergente de libraires.

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Par Clarisse Normand
Créé le 18.10.2019 à 10h45

« L'avenir de la librairie, c'est sa valeur ajoutée par rapport aux autres circuits », assène Guillaume Husson. Pour le délégué général du Syndicat de la librairie française (SLF), « cette valeur ajoutée repose sur le professionnalisme et les compétences des libraires ». Mais qu'est-ce qu'un bon libraire ? « Quelqu'un qui sait accueillir, écouter, conseiller, vendre, mais aussi acheter et animer », selon Maya Flandin (Vivement dimanche, à Lyon). « Une personne qui a une appétence pour la culture, qui sait créer une relation de confiance avec le client, mais qui porte aussi des cartons et qui travaille debout », pour Emmanuelle Robillard (Mollat, à Bordeaux). « Quelqu'un qui a une bonne culture générale, qui sait accompagner les clients, faire une table, une vitrine et gérer un rayon », d'après Pascal Thuot (Millepages, à Vincennes), qui insiste aussi sur les qualités de « savoir être » et de « curiosité » d'un bon libraire. A l'instar d'Amanda Spiegel, vice-présidente de l'Institut national de formation de la librairie (INFL) et gérante de Folies d'encre, à Montreuil, qui « embauche avant tout une personnalité, quitte à devoir l'envoyer se former », le libraire de Vincennes « ne s'interdit aucun type de recrutement ». Pour composer « une équipe intergénérationnelle avec des profils différents », il a même recruté un ancien mécanicien, devenu un très bon libraire.

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Nouvelles compétences

Qu'ils arrivent sur le marché du travail ou qu'ils soient déjà en poste depuis plusieurs années et cherchent à se professionnaliser, les libraires passent aujourd'hui de plus en plus par la case formation. « La profession n'a jamais été aussi consciente de la nécessité de se former », observe Matthieu de Montchalin, le propriétaire de L'Armitière, à Rouen, également vice-président de l'INFL. Chiffres à l'appui, le président de l'INFL Guillaume Gandelot, cogérant de La Friche à Paris confirme et annonce pour 2018-2019 « une hausse de 30% de la demande en formation continue et de 10% en formation initiale ».

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L'exigence croissante des consommateurs, le besoin de différenciation face au commerce en ligne et l'apparition de nouveaux outils technologiques appellent de nouvelles compétences, que ce soit en matière d'animation, d'informatique voire de gestion. Si elle peut contribuer à augmenter l'activité et les profits d'un point de vente, la formation est aussi, selon Caroline Meneghetti, la directrice de l'INFL, au cœur des problématiques actuelles de transmission à la nouvelle génération de libraires, qui doit pouvoir constituer une relève compétente.

Reste que, très critiquée il y a quelques années, la formation des -libraires suscite encore beaucoup de -réserves parmi les employeurs du -secteur, qui ne la jugent pas toujours adaptée à leurs besoins. Beaucoup notent des -insuffisances dans la culture générale des jeunes libraires et certains, comme Emmanuelle Robillard, pointent aussi des lacunes dans leur maîtrise des -outils informatiques, même si les jeunes -diplômés en librairie ont progressé sur ce point au cours des dernières années.

Culture générale

Dans le domaine de la formation initiale, l'offre n'a cessé de s'étoffer sur l'ensemble du territoire (voir encadré ci-contre). A côté de l'INFL, qui forme, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), près de la moitié des effectifs, plusieurs universités ont développé, dans le sillage de celle de Bordeaux, des formations Métiers du livre comme c'est le cas à Aix-Marseille, Lille ou Saint-Cloud. D'autres formations sont dispensées par certains lycées polyvalents, tel celui de Villefranche-sur-Saône, et par des organismes privés comme le Centre de formation des commerciaux en librairie (CFCL), près de Reims, ou Profiile, à Caen.

Débutant au certificat d'aptitude professionnelle (CAP), les formations les plus demandées aujourd'hui, sont, au niveau Bac +2, le brevet professionnel (BP), réalisé en alternance, et le diplôme universitaire de technologie (DUT), et, au niveau Bac +3, la licence et la licence pro. Très contraintes par les programmes pédagogiques nationaux et par la réglementation du travail, ces formations, qui intègrent toutes une expérience sur le terrain, s'efforcent naturellement de coller au plus près aux pratiques du métier et des attentes des professionnels. Sorti d'une période troublée, l'INFL s'est engagé depuis 2015 dans une profonde mutation (voir p. 29).

En 2015 l'Université catholique de l'Ouest (UCO), à Laval, a abandonné son BP au profit d'une licence, effectuée en deux ans en alternance. Une façon, selon sa responsable Evelyne Darmanin, de proposer aux élèves un diplôme plus valorisant que le BP et plus en adéquation avec leur niveau réel de compétences, car nombre d'entre eux arrivent avec déjà un parcours universitaire ou une première expérience professionnelle. « Cette évolution nous a permis de recapter des élèves de niveau bac +2, +3 voire +4 », observe Evelyne Darmanin. Elle est saluée par Simon Roguet (M'Lire, à Laval), qui apprécie ce degré supplémentaire de maturité et de connaissances parmi les nouveaux apprentis. Enfin, dans les IUT, l'évolution s'incarne surtout dans la création de licences pro. Mais, aujourd'hui, la réforme qui vise à supprimer les DUT au profit d'un Bachelor universitaire de technologie (BUT), de niveau Bac +3, devrait susciter de nouveaux changements dans l'offre des universités.

Manque de temps

Dans le domaine de la formation continue, principalement assurée par l'INFL, les contenus se sont enrichis de nouveaux modules, notamment autour de la maîtrise des outils technologiques pour mieux communiquer, vendre et gérer. Mais, ici, la principale difficulté vient du manque de disponibilité des libraires pour participer aux séances de formation, surtout lorsqu'ils travaillent dans des petites structures. En région parisienne, le nouveau service de remplacement Libraires volants leur redonne une marge de manœuvre en leur permettant de s'absenter. Et en province, les associations s'efforcent de rapprocher les formations de leurs adhérents en organisant des sessions ponctuelles en région, en partenariat avec l'INFL. En Rhône-Alpes, cinq à six formations sont ainsi proposées chaque année. « Les libraires y prennent vite goût et reviennent volontiers », se félicite Marion Baudoin, déléguée générale de l'association Libraires en Auvergne Rhône-Alpes. D'autres associations, comme Libraires ensemble, ou encore la branche librairie, sous l'impulsion du SLF, œuvrent aussi au développement de la professionnalisation en proposant, via l'INFL, des contenus sur mesure. Quant aux plus grandes librairies et aux chaînes, elles ont mis en place des vraies politiques de formation pour leur personnel, n'hésitant pas à recourir à des organismes spécialisés sur des domaines de compétences particuliers comme la communication ou la gestion. Cultura a même créé son propre campus à Bordeaux, avec une équipe pédagogique dédiée, pour répondre à ses besoins d'enseigne nationale.

Reste que ces efforts butent sur une autre difficulté. Si la profession recherche un personnel qualifié, avec une bonne culture générale et une formation de niveau bien supérieure au bac, elle offre des salaires étonnamment bas. « Quand on embauche un jeune, même bac+5, il n'est guère payé plus que le smic », admet Guillaume Gandelot. « Les niveaux de rémunération sont insuffisants, confirme Matthieu de Montchalin, mais la profession se heurte à une réalité économique très contraignante. Reste qu'avec la nouvelle convention collective, qui établit une grille de compétences auxquels sont associés des salaries, le libraire peut se construire plus facilement une évolution de carrière, quitte à changer d'employeur. » 

Le renouveau de l'INFL

Depuis 2015, le principal organisme de formation a engagé un important processus de transformation de son organisation et de son offre qui connaîtra un point d'orgue en 2020 avec son déménagement et la création d'une librairie école.

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Le directeur de Millepages à Vincennes et ex-directeur de l'Institut national de formation à la librairie Pascal Thuot est rassuré : « L'INFL est enfin sur de bons rails ». Sorti d'une longue période défiance de la part de la profession, suivie d'une crise interne avec les démissions de son directeur et de plusieurs membres de son équipe dirigeante, le premier organisme de formation des libraires a engagé, depuis 2015, une profonde refonte sous l'impulsion d'un nouveau conseil d'administration présidé par Guillaume Gandelot (cogérant de La Friche à Paris). Placé aujourd'hui sous la direction de Caroline Meneghetti, l'INFL a renouvelé ses formateurs, qui ont tous dû suivre au préalable une formation pédagogique. Afin d'identifier au mieux les besoins des professionnels, l'équipe se déplace aussi désormais régulièrement en librairie et échange avec une quinzaine de professionnels chaque mois. Mais surtout l'offre a été remise à plat et redéployée. L'an dernier, l'organisme a finalisé la refonte de son CAP et de son diplôme phare le BP, avec l'ambition de développer les cours sur l'assortiment, la culture générale et la gestion. En formation initiale comme continue, les enseignements ont aussi été nourris de nouveaux modules autour de l'animation et de la prise de parole en public ainsi qu'autour de la vente. L'an prochain, d'autres seront intégrés sur la maîtrise des nouveaux outils de gestion comme l'observatoire de la librairie.

Plus pragmatiques, les formations s'inscrivent davantage dans la réalité du terrain sans pour autant délaisser les réflexions sur l'avenir du métier. Conscient des critiques sur le manque de culture générale des nouveaux apprentis, l'INFL organise depuis cette année des conférences mensuelles dispensées par un chercheur. Parmi celles-ci, ont été traités : « l'histoire du genre et des féminismes » par Michèle Riot-Sarcey, « médiévalisme : le Moyen-Age dans la culture populaire contemporaine » par William Blanc, ou encore « les enjeux du théâtre politique » par Olivier Neveux. Pour les libraires professionnels, l'INFL lancera aussi l'an prochain de nouvelles sessions baptisées « Expert ». Programmées sur une journée, elles seront animées par un spécialiste. La première sera consacrée à la littérature américaine à l'occasion du festival America et sera assurée par Francis Geffard (éditeur chez Albin Michel et propriétaire de Millepages à Vincennes).

L'organisme a par ailleurs étoffé son offre sur la création et la reprise de librairies en créant une formation dédiée aux libraires salariés, alors que le module initial accueille surtout des personnes en reconversion professionnelle. Enfin, une équipe d'auditeurs, composée de libraires et formateurs chevronnés, sera prochainement constituée pour accompagner et former in situ des libraires désireux de se professionnaliser.

Le déménagement début 2020 de l'INFL cristallise toutes ces évolutions. L'organisme quittera les 600 m2 qu'il occupait à Montreuil pour 1 000 m2 à Maisons-Alfort, où il créera la première librairie école. Conscient qu'il faut donner envie aux libraires de suivre des formations, Guillaume Gandelot insiste sur la nécessité de rendre celles-ci stimulantes et attrayantes. Aux -professionnels maintenant de s'emparer de ce nouvel outil modernisé et redynamisé. 

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