C'est la dernière à être tombée dans la marmite. En reprenant, en octobre 2020, la moitié des parts de la librairie Champollion à Figeac, Marthe Mutte s'inscrit dans ce qui ressemble à une tradition familiale. Après ses cousins Baptiste et Fantine Gros, respectivement codirigeants de la Colline aux livres à Bergerac et de la Lison à Lille, et sa sœur Alix, associée à Fantine, elle est la quatrième de la lignée Gros/Mutte à embrasser la profession de libraire. « On n'y avait pas franchement réfléchi avant mais avec l'arrivée de Marthe dans le métier, cette prédisposition passe beaucoup moins inaperçue. En tout cas, ça commence à bien faire rire dans la famille », note, amusée, Alix Mutte.
Au départ, rien ne prédestinait pourtant les quatre cousins à se tourner vers la librairie. Certes, chez les Gros comme chez les Mutte, la lecture a toujours constitué un héritage. « Nos parents étaient de très grands lecteurs et nous avons tous baigné dans les livres très tôt », affirment-ils en chœur. Du côté Gros, le grand-père Bernard, professeur de français, collectionne La Pléiade. L'histoire du soir constitue une institution familiale « très marquante, se souviennent Baptiste et Fantine. C'est souvent notre père, Manuel, qui s'y collait. Grand universitaire spécialisé en droit et auteur de nombreux livres, il avait même écrit une histoire pour chacun de ses trois enfants dont une a eu les honneurs de la publication. »
Le goût du métier
Chez les Mutte règne le même environnement. « Mon père nous a toujours emmenés dans les librairies et d'aussi loin que je me souvienne, j'ai eu un livre à la main », raconte Alix, qui, aux yeux de ses cousins, était incontestablement la plus mordue. « On était tous des lecteurs assidus et réguliers mais on faisait aussi d'autres choses. Seule Alix était celle qui préférait lire que voir des gens », détaille Fantine qui a très tôt noué une complicité avec sa cousine d'un an et demi plus jeune.
Ce n'est pourtant pas Alix qui a ouvert la voie mais Baptiste. Engagé dans des études de sociologie à l'université de Lille III au début des années 2000, il découvre un peu par hasard la librairie. Il est embauché à mi-temps par Emily Vahnée, alors toute jeune directrice des Lisières à Roubaix. « Immédiatement je me sens bien dans cet univers dans lequel je m'amuse beaucoup », se rappelle Baptiste Gros. Le goût pour ce métier est si fort qu'il consacre son mémoire de fin d'études au rôle social de la libraire dans un quartier populaire. Fraîchement diplômé, il accepte de partir en apprentissage à l'École de la librairie (ex-INFL) à l'issue duquel il prend la direction de la Librairie des voyageurs à Lille. Deux ans plus tard, il dirige la maison mère à Paris.
Au même moment, sa sœur Fantine stoppe ses études d'orthophoniste. Les stages qu'elle réalise lui montrent que ce métier ne répondra pas à ses attentes. Se sentant un peu perdue et ne voulant pas reprendre de longues études, elle voit son frère « s'épanouir » aux Lisières. Sur son invitation, elle y passe un samedi. L'expérience la séduit aussitôt. Sur les conseils de Baptiste, elle contacte l'INFL. Après un an de recherche, elle trouve son apprentissage chez Tirloy, une librairie lilloise historique qui possède une forte tonalité religieuse. « Je me sens tout de suite à ma place, décrit Fantine. Je découvre le lien avec les gens, que j'aime énormément, tout comme l'organisation d'une librairie. Je suis enfin dans un métier avec les mains dans le cambouis. C'est une révélation professionnelle et ça, je le dois à mon frère. C'est lui qui m'a ouvert la porte... »
Créer sa structure
Ce que Baptiste a fait pour sa sœur, Fantine le réitère à l'égard de sa cousine. « Dès que je suis entrée en apprentissage, j'ai pensé que cette formation était faite pour Alix », explique Fantine. Alors en licence de lettres, le troisième maillon préfère pourtant se concentrer sur le théâtre dont elle pense faire son métier. « Il m'aura fallu un petit temps pour comprendre que ça ne serait pas possible. Dès lors, je me suis tournée naturellement vers la librairie. » Après quatre ans au Bateau livre, à Lille, dont deux en apprentissage, c'est finalement elle qui soumet l'idée de créer leur propre structure à sa cousine Fantine. La Lison, à laquelle aucune institution n'a voulu croire au départ, naît en novembre 2015 et se porte aujourd'hui comme un charme.
Dernier ricochet de cette « cascade de reconversion », Marthe, 39 ans, est celle qui aura mis le plus de temps à franchir le cap. Chargée de production dans une salle à Roubaix, elle fréquente La Lison dès son ouverture et aide régulièrement Alix et Fantine pendant les périodes clés. Mais le déclic se produit véritablement grâce à son compagnon, Fethi Tounsi, associé dans le rachat de Champollion. « Depuis que je le connais, il caressait le doux rêve de créer une librairie itinérante. Le modèle économique fragile de cette formule et l'opportunité de Champollion ont modifié nos projets », précise Marthe Mutte. La libraire en herbe reconnaît toutefois que voir ses cousins et sa sœur « trouver leur bonheur dans ce métier, s'épanouir dans leur entreprise respective et réussir avec autant de joie » l'a fortement motivé. « Ce sont de beaux exemples que j'ai envie de suivre. »
La vocation va-t-elle continuer à se transmettre ? « Un autre ricochet est possible, peut-être dans la génération suivante, pronostiquent les quatre cousins. Déjà peuplée de grands lecteurs, la famille est maintenant convertie à la librairie, se transformant même en ayatollah. » Le terrain est prêt pour le reste de la lignée.
