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Librairie : des musées très convoités

La nouvelle librairie-boutique du musée du Quai Branly-Jacques-Chirac (Paris 7e) est passée dans le giron d’Arteum. - Photo olivier dion

Librairie : des musées très convoités

De jeunes sociétés privées, Arteum et La Boutique du lieu, bousculent le marché des librairies de musée, jusque-là dominé à Paris par la Réunion des musées nationaux, tandis que de grandes librairies indépendantes interviennent dans plusieurs établissements de province.

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Par Clarisse Normand
Créé le 24.03.2017 à 00h32 ,
Mis à jour le 24.03.2017 à 07h40

Le 29 mars à Paris, Arteum va ouvrir un nouveau point de vente dans les catacombes. Neuf jours plus tôt, la jeune et offensive société créée en 2008 par Lorraine Dauchez, ex-directrice adjointe de l’Opéra de Paris, a inauguré sa librairie-boutique du musée du Quai Branly-Jacques-Chirac (Paris 7e), où elle est parvenue à éjecter la Réunion des musées nationaux (RMN). Ce changement de concessionnaire, pour un point de vente qui affichait, lors de son dernier exercice, 2 millions d’euros de chiffre d’affaires, dont 1,2 million avec le livre, témoigne de la vive concurrence qui touche aujourd’hui le marché des librairies de musée.

Spécialiste de la vente de produits dédiés à l’art, Arteum ne s’intéresse aux musées que depuis 2013. A la suite d’un changement de stratégie, elle a délaissé progressivement les centres commerciaux au profit des sites culturels et touristiques. Elle gère actuellement six librairies-boutiques de musée en France dont, à Paris, le musée des Arts décoratifs, le musée Carnavalet, la Cité des sciences et de l’industrie, le palais de la Découverte et le musée de l’Armée, ainsi qu’une poignée de points de vente sur des sites touristiques à l’étranger.

"Nous voulons devenir un acteur majeur sur le marché européen, lance Lorraine Dauchez. En France, nous voulons étendre notre périmètre de boutiques dans les musées mais aussi à l’extérieur en faisant évoluer notre concept de corners en grand magasin afin d’y proposer une offre cohérente construite autour de l’actualité d’un musée. Parallèlement, sur Internet, nous allons ouvrir des boutiques en ligne propres à chaque musée." Cette stratégie de développement a conduit l’entrepreneuse à procéder à une augmentation de capital et à céder en début d’année la majorité des parts de la société (65 %) à un nouvel actionnaire : le fonds d’investissement familial Arts et biens, présent dans les secteurs du commerce de détail et de la restauration.

Face à ce concurrent offensif qui a la réputation de conquérir de nouvelles concessions grâce à une politique de redevances très généreuses pour les musées, et donc très coûteuse, la RMN se voit "challengée mais reste solide sur ses bases", assure Valérie Vesque-Jeancard, directrice générale déléguée de l’établissement public. Mais le défi est d’autant plus rude que le marché est aujourd’hui affecté, surtout à Paris, par la baisse de fréquentation des musées, estimée en 2016 à 15 % et largement imputable à la chute du tourisme étranger lié au risque terroriste.

Généreuses redevances

S’étant aussi désengagée ces dernières années d’un certain nombre de musées en région, la RMN n’en reste pas moins le leader incontesté du marché avec 38 boutiques et un chiffre d’affaires de 55 millions d’euros pour l’année écoulée. "De tout temps, nous avons eu des concurrents, observe Valérie Vesque-Jeancard. Aujourd’hui, la force de la RMN, c’est son savoir-faire reconnu. Ce qui lui permet de conquérir de nouveaux lieux, dont, à Paris, la fondation Vuitton et la future fondation Pinault."

Sur le créneau moins tendu et plus éclaté des musées de province, sur lequel interviennent localement de grandes librairies indépendantes (L’Armitière au musée des Beaux-Arts de Rouen, La Boîte à livres au nouveau Centre de création contemporaine Olivier-Debré de Tours, Sauramps au musée Fabre de Montpellier…), une autre jeune société, La Boutique du lieu, a su trouver sa place. Créée en 2007 par Thibault Catrice, un ancien salarié de la RMN, elle compte aujourd’hui neuf librairies qui opèrent sous marque blanche, notamment à La Piscine à Roubaix ou au Centre Pompidou de Metz, où la boutique s’apprête à passer de 90 à 130 m2. S’ajouteront dès le 3 avril le palais des Beaux-Arts de Lille, puis le 23 juin le musée des Beaux-Arts de Nantes, première implantation à l’ouest pour cet opérateur essentiellement présent au nord-nord-est du pays. "Je suis sur une niche, mais je veille à m’installer dans des musées capables d’attirer au moins 100 000 visiteurs par an", explique Thibault Catrice. S’il se félicite du fait que la librairie fasse désormais partie du parcours des visiteurs, surtout si elle est placée à la sortie du musée, le dirigeant est bien conscient du caractère erratique de l’activité car "conditionnée par l’attractivité de la programmation d’expositions". A la RMN, Valérie Vesque-Jeancard, qui apprécie "la dimension captive et bien disposée à l’achat de la clientèle", fait état d’un taux de transformation de visiteurs en clients pouvant aller jusqu’à 25 % au Grand Palais, 17 % au musée d’Orsay, 10 % au Louvre et à 7 % dans des petits points de vente. Dès lors, la RMN mise sur la modernisation et l’animation de ses boutiques, tandis que La Boutique du lieu parie sur le renforcement constant de son offre de services aux institutions culturelles "car ce sont nos premiers clients", note Thibault Catrice.

Actes Sud au Mucem, Madrigall au centre Pompidou

A côté de ces opérateurs dont certains, la RMN et Arteum, assurent aussi pour les musées une production spécifique, on trouve quelques maisons d’édition. Actes Sud gère la librairie du Mucem, à Marseille, à travers sa librairie Maupetit, et Madrigall celle du Centre Pompidou, à Paris. Cette dernière est placée depuis septembre sous la responsabilité de Philippe Touron, responsable des quatre librairies Gallimard de Paris. De moindre taille, Bookstorming, recentrée sur l’édition spécialisée en art contemporain, gère de son côté la boutique de La Maison rouge, à Paris. Et l’éditeur et libraire d’art allemand Walther König arrive à Paris pour gérer, en association avec les Cahiers d’art, la nouvelle librairie du palais de Tokyo, qui doit rouvrir à la mi-avril sur 450 m2.

Hors des nombreuses boutiques qui échappent aux appels d’offre car elles sont gérées en interne par le musée lui-même, le secteur fonctionne selon un modèle économique délicat. Selon Valérie Vesque-Jeancard, il faut faire du sur-mesure, ce qui limite les possibilités d’économie d’échelle au sein d’un réseau. Dès lors, les pressions à la hausse sur les redevances versées aux musées, aujourd’hui bien supérieures aux 7,5 % en vigueur dans les années 2000, fragilisent et inquiètent les concessionnaires. Certains estiment même que le niveau des redevances, de moins en moins compatible avec le livre, risque, à terme, de mettre en péril le rayon de produits culturels des musées.

Dans ce contexte, le prochain appel d’offres concernant les librairies-boutiques du château de Versailles (7 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2015, dont 1,5 million avec le livre) focalise les attentions. Il devrait faire l’objet d’une sévère bataille entre la RMN, actuel concessionnaire, et Arteum.

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