Encore un bon cru. En 2019, Livres Hebdo a répertorié 58 ouvertures de librairies, dont 41 hors grandes enseignes, et 33 transmissions auxquelles s'ajoutent le rachat de deux groupes, Decitre, en métropole, et Jasor en Guadeloupe. Ce dynamisme (voir tableaux pages suivantes) prolonge celui des deux années précédentes. En 2018, 51 créations (hors chaînes) et 37 reprises avaient été recensées. En 2017, respectivement 40 et 32.
Si ces chiffres ne sont pas exhaustifs, ils témoignent du prolongement d'une tendance favorable, nourrie par l'attractivité persistante du métier. Au Centre national du livre (CNL), Thierry Auger, chargé des librairies, confirme la montée en puissance du nombre de dossiers depuis 2012, avec un niveau record du nombre d'aides économiques en 2019 : « 60 pour un montant de 2,1 millions d'euros. »
L'année a débuté sur les chapeaux de roues avec, dès janvier, le rachat par le Furet du nord du groupe Decitre, soit 11 magasins et une société spécialisée dans les métadonnées et la vente de livres en ligne. Le premier semestre concentre d'ailleurs près des deux tiers des reprises. Et non des moindres avec Torcatis à Perpignan, Bisey à Mulhouse, Lacoste à Mont-de-Marsan et Dialogues à Brest, racheté par l'entrepreneur Jacques Jolivet dont la fille, Cathy Jolivet Dhérent, avait repris en 2018 Les enfants de Dialogues. À l'inverse, les créations se révèlent, comme chaque année, nettement plus nombreuses au second semestre, pour bénéficier de l'effet dopant des fêtes de fin d'année, avec un pic sur les mois d'octobre et novembre, où sont réalisées un tiers des ouvertures de l'année.
Investir le territoire
Pour se rapprocher des consommateurs, les grandes enseignes poursuivent leur stratégie de maillage en descendant plus finement dans le territoire, tandis que les indépendants n'hésitent plus à investir les espaces ruraux. N'échappant pas aux tendances néorurale et « buy local », ces derniers viennent combler des vides dans des petites villes ou des villages avec des concepts basés sur l'échange et la convivialité. Parmi les créations (hors chaînes), un quart se positionne comme des librairies café ou librairies salons de thé. En parallèle, les grandes métropoles n'enregistrent cette année que huit créations dont deux seulement à Paris... contre trois à Besançon !
Si l'Ile-de-France reste la région accueillant le plus d'ouvertures (12 cette année), celles-ci surviennent essentiellement dans des villes franciliennes qui étaient dépourvues de librairies, comme Bourg-la-Reine, Champigny, Marcoussis ou encore Saint-Gratien. La démographie de la librairie est aussi très active dans les régions Auvergne Rhône-Alpes, Bretagne et Occitanie, où l'on enregistre dans chacune 7 créations, pour une seule ouverture en Pays de la Loire, et deux seulement en Centre-Val de Loire ainsi qu'en Normandie, Hauts de France et Paca.
Répondant à une autre logique, liée aux départs en retraite de toute une génération de libraires entrés dans le métier dans les années 1980 après l'adoption de la loi sur le prix unique du livre, les reprises, hors Decitre et Jasor, affichent de moindres écarts régionaux. En haut de la fourchette, avec 5 transmissions, on trouve l'Ile-de-France, la Nouvelle Aquitaine et l'Occitanie. En bas, avec une seule reprise, la Bourgogne-Franche-Comté, la Normandie et Paca.
Des librairies de quartier
Chez les indépendants, aucune création ne se démarque nettement par son envergure comme cela avait été le cas en 2018 avec Ici, à Paris. Les plus grosses ouvertures, sur 300 m2, ont été initiées par de grandes librairies déjà en place, comme Le Grand Cercle (Eragny) qui s'est implanté à Saint-Gratien, ou Dialogues, qui a créé Dialogues Curiosités à Brest. À Fontenay-aux-Roses, Les pêcheurs d'étoiles se distingue avec une surface de 200 m2 très joliment aménagée. À l'inverse, près de 30 % des nouveaux points de vente (hors chaînes) occupent moins de 70 m2, souvent avec un concept de librairies spécialisées ou de quartier.
Au-delà des statistiques, on assiste, selon Catherine Heude, responsable des relations libraires chez Actes Sud, à « une vraie professionnalisation des indépendants avec des initiatives de qualité ». Plus de la moitié des reprises sont réalisées par des libraires expérimentés, avec une intéressante tendance aux transmissions internes. Lilosimages, à Angoulême, la Bouquinette, à Strasbourg, ou Bisey, à Mulhouse, ont toutes trois été reprises par des salariés. Dans le même esprit, certains libraires déjà gérants s'engagent dans la reprise d'un second point de vente. C'est le cas pour La Boîte à Soleils, à Tence, et Des livres et nous, à Périgueux, rachetés respectivement par les gérants de CoLibris, à Mayzieu, et du Grain des mots, à Lalinde. Les créations, elles, sont davantage menées par des personnes en reconversion. Mais, là aussi, la professionnalisation est de mise, avec des projets longuement mûris et des nouveaux venus qui ont suivi au préalable des formations ou des stages sur le terrain.
Plus de femmes
Fait marquant en 2019, les initiatives d'indépendants émanent deux fois plus de femmes que d'hommes, qu'il s'agisse d'ouvertures ou de reprises. Mais alors que les premières sont menées avant tout par des personnes seules, les secondes relèvent autant de projets en solo qu'en duo ou trio.
Parmi les nouveaux entrepreneurs en librairie émerge également une génération de trentenaires, voire plus jeunes. Ainsi de la repreneuse de VO, à Lille, comme des fondateurs des Oiseaux voyageurs, à Saint-Gilles Croix de Vie (Vendée) et, dans les domaines de la bande dessinée et et du manga, du créateur de Tanukie, à Poitiers, et des repreneurs de Bulles les Bains, à Aix-les-Bains. Ces initiatives de jeunes libraires sont facilitées par les nouveaux modes de financement participatif. Dans le champ de l'économie sociale et solidaire, on compte aussi quelques créations comme L'autre librairie, à Angoulême, et Chez Josette, à Charleville-Mézières.
Quelques agrandissements
Enfin la vitalité du secteur se mesure aussi par les agrandissements de librairies, dont L'Attrape-Cœurs à Paris 18e, Folies d'encre à Montreuil, Mots & bulles à Carcassonne, ou encore Sauramps Comédie à Montpellier, ainsi que par les rénovations, parmi lesquelles celles de M'Lire à Laval, Gens de la Lune à Nevers, Charlemagne à Toulon et L'Humeur vagabonde à Paris. Anticipant une poursuite de ces initiatives, le CNL a renouvelé, au niveau haut de 2019, l'enveloppe de ses aides pour 2020.