Samedi 12 janvier au soir, Dominique Minard fête les 10 ans de La Librairie, à Clermont-Ferrand. Célébré autour d'un verre et du premier événement surprise organisé pour ses clients, l'anniversaire se poursuivra tout au long de l'année, rythmé chaque mois par une animation spécifique. Ce programme, dense pour une librairie de taille modeste, n'aurait pu être envisagé sans le concours de La Librairie, une aventure !, l'association de clients qui épaule l'entreprise depuis six ans. Elle règle la facture du pot du 12 janvier, contribue au financement des sacs confectionnés pour l'occasion et donnera, au fil des manifestations programmées, un coup de main matériel et logistique.
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Créée en 2012 pour prolonger la mobilisation informelle d'une vingtaine de clients lors du déménagement de La Librairie, l'association s'est donné classiquement pour mission de soutenir son action culturelle. Concrètement, La Librairie, une aventure ! représente la librairie hors les murs, participe à sa communication externe et prend en charge l'hébergement et les repas des auteurs invités. Cette aide se traduit au bilan par une économie d'environ 1 200 euros par an, « une somme importante pour mon budget », souligne Dominique Minard, qui réalise un chiffre d'affaires de 300 000 euros environ. « Mais au-delà de l'aspect financier, l'association apporte un soutien humain vital, en termes de présence mais aussi d'échanges sur le métier », complète la libraire.
Cet atout est mis en avant par tous les libraires qui bénéficient du soutien d'une association de clients. Pour Erwan Leroux, propriétaire de Sillage à Ploemeur, l'association des Amis de la librairie Sillage, constituée il y a deux ans à l'occasion des 20 ans de la librairie généraliste, a engendré « un changement énorme dans la vie de l'entreprise ». Pourtant, ces initiatives demeurent relativement peu répandues parmi les librairies françaises. Palpable notamment lorsque l'une d'elles est en difficulté, la mobilisation des clients reste toutefois éphémère et difficile à traduire en engagement pérenne. Peu d'associations sont nées suite à des campagnes de financement participatif, et surtout rares sont celles qui parviennent à durer dans le temps. Au mieux, leur nombre d'adhérents s'érode, au pire, elles tombent en sommeil, à l'image de celle constituée à l'occasion de la collecte lancée sur Ulule par la librairie spécialisée jeunesse A Titre d'aile, à Lyon, fin 2015, et qui n'aura été active que deux ans. Le départ de sa présidente, qui a quitté la région, explique en partie cet arrêt. « Mais très vite, nous avons été également confrontés à une difficulté juridique, notamment lorsque les membres de l'association nous aidaient lors de salons ou de moment forts. Nous naviguions entre bénévolat et travail dissimulé », témoigne Cédric Chaffard, cofondateur d'A Titre d'aile.
Un modèle innovant
L'articulation entre une activité commerciale privée, la librairie, et une activité associative reste en effet un point délicat, une ligne de crête qui constitue la principale limite de l'exercice. « La confusion entre les actions menées par l'association et celles entreprises par la librairie est fréquente, et il faut sans cesse clarifier les rôles de chacun, confirme Anthony Clément, qui dirige Caractères à Mont-de-Marsan (Landes) et préside l'association Librairie social club, fondée en 2017. Mais quand cette niche fonctionne, cela donne naissance à un modèle tout à fait innovant. »
Les associations de clients sont également confrontées à la difficulté, propre au milieu associatif, de conserver et fidéliser leurs membres. « D'une soixantaine d'adhérents à la création de l'association, nous sommes passés à quarante. Surtout, il n'y a eu aucun renouvellement. Le noyau dur est resté identique et nous ne parvenons pas à attirer des jeunes », déplore Dominique Minard. Réalisée par des bénévoles, la communication autour de l'association reste souvent artisanale. Tout au plus, une page Facebook est créée pour relayer les actions déployées. Elle s'accompagne parfois d'une newsletter envoyée à un fichier clients issu des différents réseaux des adhérents.
Autre obstacle pour les libraires, imaginer des contreparties pour récompenser l'engagement de leurs clients, qui « demeurent à un moment donné indispensables. Le don de soi n'a qu'un temps », pointe Dominique Minard. Limités par la loi Lang, les libraires actionnent des leviers essentiellement symboliques : accès privilégié à des rencontres à fort potentiel, comme le pratique Nadège Mulé (Sur les chemins du livre, Saint-Amand-Montrond), repas avec l'auteur invité, attribution de services de presse en avant-première, places de théâtre ou de concert offertes, ou organisation d'événements spécifiques, comme la visite privée d'une exposition. « Pour garder les gens motivés, il faut aussi donner, estime Erwan Leroux. Mais la meilleure récompense reste encore de monter des projets en commun. Si l'association a pour but de proposer des actions, la librairie doit aussi fournir son quota. »
Comme un think-tank
Malgré ces écueils, la forme associative constitue le meilleur cadre pour structurer l'envie des clients de s'impliquer dans la vie des librairies. Repreneurs en 2016 du Bleuet, à Banon, Isabelle et Marc Gaucherand constatent rapidement que « de nombreux fidèles, touchés par les multiples péripéties de la librairie, souhaitaient nous aider. La structure commerciale ne le permettant pas, nous avons opté pour l'association. » Inaugurée en juin dernier, Bleuet Cie a très vite rassemblé 200 adhérents. Elle a pour rôle de fédérer les amis du Bleuet, de communiquer auprès d'eux de manière spécifique et d'aider aux animations de la librairie. Elle apporte également une dimension réflexive, comme le ferait un think-tank. « Nous voulons donner à Bleuet Cie une dimension de réseau, de communauté à l'anglo-saxonne qui entoure la librairie », précise Marc Gaucherand.
Dimension communautaire
C'est sur cette dimension communautaire que s'est appuyée Elise Feltgen pour ouvrir son café-librairie à Mellionnec (Côtes-d'Armor), Le Temps qu'il fait (voir page 21). Créée plus de six mois avant l'ouverture, l'association Le Poulpe a permis d'ancrer le projet dans le territoire, de le faire connaître avant même que les portes de la librairie ne s'ouvrent, de lui fournir une main-d'œuvre lors des travaux et de lui assurer un premier cercle de futurs clients. « Maintenant que la librairie est ouverte, nous allons aussi ouvrir son champ des possibles, affirme Guillaume Benoît, coprésident du Poulpe. Grâce à l'association, et à ses fonds, nous allons organiser des événements de plus grande ampleur qu'Elise, seule, n'aurait pu prendre en charge. Mais nous allons aussi sortir strictement du domaine du livre pour nous ouvrir à d'autres vecteurs cultuels. »
Dépasser le cadre de la librairie pour devenir un acteur culturel à part entière, c'est le pari qu'a réussi, en un peu moins de deux ans, Anthony Clément avec sa Librairie social club. Inscrite dans le projet lié au déménagement de Caractères (1), l'association avait pour but premier « d'organiser et de donner un cadre à ces gens qui s'impliquaient déjà dans la librairie. Mais dès le départ je voulais aller au-delà », raconte le libraire. En 2019, Librairie social club se détache donc de sa matrice et interviendra, comme acteur culturel, dans différentes institutions et jusque dans d'autres librairies (voir encadré ci-contre).
Voir LH 1109 du 9 ddécembre2019, p.26 e t 27.
« Créer une dynamique »
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En 2016, Esther Duclercq et Marie-Laure Ndoye, fondatrices de Ma Petite Librairie à Bourgoin-Jallieu (Isère), lancent une campagne de financement participatif. Leur appel à l'aide, couronné de succès, provoque un électrochoc chez certains clients. « Nous étions tous très attachés à la librairie individuellement. La collecte nous a permis de nous rapprocher et de nous rendre compte que cet attachement était collectif et qu'aucun de nous ne voulait voir péricliter la boutique. Voilà comment est née l'association », se souvient Loriane Azard, présidente des Amis de Ma Petite Librairie.
Créée dans la foulée de la collecte, en 2017, l'association se donne pour objet de soutenir la librairie et plus largement de promouvoir la lecture. A travers leurs actions, la création d'un club de lecture et d'un prix littéraire ainsi que des temps de lecture pour les enfants, la cinquantaine d'adhérents souhaitent avant tout « créer une dynamique autour de la librairie et faire venir des gens en magasin, surtout ceux qui ont moins l'habitude de pousser la porte d'une librairie, comme les jeunes », précise Loriane Azard. La professeure de français aimerait développer des actions ludiques autour du livre et tisser des partenariats avec d'autres associations ou les commerçants de Bourgoin-Jallieu. « Les idées ne manquent pas. Reste à trouver le temps de les construire », pointe la présidente de l'association.
Comme chez Sillage à Ploemeur, Les Amis de Ma Petite Librairie se sont aussi donné pour mission de promouvoir le travail des deux libraires et de se faire le porte-voix de leur projet. « C'est un combat important, insiste Loriane Azard. En cinq ans, plusieurs librairies indépendantes ont tiré le rideau dans la région. Cela prouve bien que nous ne nous sommes pas trompés en lançant cette association. »
« Libraires par procuration »
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Sa première motivation reste bien évidemment « l'amour des livres ». Mais également l'envie d'un lieu d'échange autour de cette passion. Alors quand, en 2016, Guillaume Benoît a eu connaissance du projet de café-librairie d'Elise Feltgen à Mellionnec, Le Temps qu'il fait, il n'a pas hésité longtemps. « C'est une chance d'avoir une librairie sur un territoire qui n'offre pas ce genre de lieu. Mais c'est un défi pour une librairie de s'installer dans une commune de 400 habitants et un territoire rural pas très fortuné. Il nous a donc paru nécessaire, et évident, de l'aider à s'installer et à développer son activité. »
Très vite, avec Guillaume Benoît, une dizaine de personnes se mobilisent autour d'Elise Feltgen et se réunissent tous les mois pour lui apporter leur conseils et leur connaissance du territoire et des attentes de ses habitants. Au bout d'un an, le groupe, en accord avec la libraire, décide de créer une association. « Cela correspondait bien à l'envie d'Elise d'ouvrir sa librairie aux personnes qui désiraient s'impliquer et de faire de son projet une aventure collective », explique Guillaume Benoît. Fondée en novembre 2017, Le Poulpe rassemble immédiatement une trentaine d'adhérents, un engouement qui « démontre l'attente que suscitait ce café-librairie », souligne Guillaume Benoît, qui en prend la coprésidence.
Depuis, l'association participe à la programmation des animations de la librairie en proposant des idées et apporte une aide matérielle et logistique. « Cette petite responsabilité dans la vie du lieu nous fait nous sentir un peu libraires par procuration », se réjouit Guillaume Benoît, qui espère « lui ouvrir le champ des possibles ».
« Un commerce particulier »
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Client de longue date de la librairie Sillage, à Ploemeur (Morbihan), Ange Le Pogam en a peu à peu découvert les coulisses. « En participant bénévolement à des salons, j'ai compris comment fonctionne une librairie, et la masse de travail que ce métier représente, raconte l'ex-animateur socio-éducatif. Dès lors, je me suis demandé comment je pouvais contribuer à défendre et à promouvoir Sillage, et plus globalement ce genre de commerce, qui n'est vraiment pas comme les autres. »
Son projet de soutien se concrétise en 2017, alors que la librairie fête ses 20 ans. Avec une poignée de clients fidèles et en collaboration avec le fondateur de la librairie, Erwan Leroux, Ange Le Pogam crée les Amis de la librairie Sillage, dont il prend la présidence. L'association se fixe pour premier objectif de « divulguer partout où l'on peut le fait que la librairie est un commerce particulier qui demande du soutien », insiste Ange Le Pogam. Le développement des animations autour du livre, en utilisant d'autres vecteurs comme la musique, constitue un deuxième axe de travail, avec la recherche de partenariats avec d'autres acteurs culturels et sociaux afin de « créer une émulation autour du livre, ce qui reste le meilleur soutien que l'on puisse apporter à Sillage », assure-t-il.