"Ma première réaction, un peu égoïste, en tant qu’éditeur, c’est de m’inquiéter pour mes gros projets éditoriaux à venir. La seconde, c’est une pensée pour les équipes formidables de Volumen qui, j’espère, ne seront pas trop touchées." Contacté dans les heures suivant l’annonce du rachat de Volumen par Editis, Frédéric Martin, directeur des éditions Le Tripode, résume ainsi en quelques mots l’attitude de la profession : entre la crainte d’un impact sur leur maison et celle d’une conséquence sur les postes des représentants, rares sont les diffusés à avoir sauté de joie à l’idée d’un tel regroupement. Même si, de l’aveu général, le rachat était pressenti depuis longtemps.
"Je ne suis pas du tout surprise, mais extrêmement inquiète, s’exclame Sabine Wespieser. Avec Volumen, j’ai choisi une diffusion qualitative, capable de porter une maison comme la mienne, de pratiquer des mises en place modestes et de faire émerger des auteurs encore peu connus du grand public, comme Léonor de Récondo ou Michèle Lesbre." Dans ce rapprochement avec Interforum, l’éditrice redoute ainsi de voir "le gros déteindre sur le petit".
D’une maison à l’autre, tous les éditeurs mettent un point d’honneur à souligner la qualité du service offert par l’historique "diffusion Seuil", devenue Volumen avec la constitution du groupe La Martinière. Henri Causse, le directeur commercial des éditions de Minuit, se laisse même aller à la nostalgie : "J’éprouve une grande tristesse. La diffusion Seuil, où nous sommes depuis février 1981, a vraiment apporté quelque chose de particulier dans les relations avec la librairie."
Du côté des libraires, justement, les réactions se font encore plus épidermiques. "Pour nous, c’est un peu la catastrophe ! Même si, contrairement au moment de notre lancement il y a quatorze ans, Volumen n’est pas notre plus gros fournisseur, ce sont des gens que nous aimons beaucoup et de vrais défenseurs de la librairie indépendante", explique Françoise Charriau, dePassages, à Lyon. Pour la cogérante, si l’efficacité de son distributeur est susceptible d’être affectée ("ils peuvent nous fournir en 48 heures, alors qu’il faut compter au moins quatre jours pour Interforum"), l’interrogation est aussi financière : "Je vais me battre pour garder les mêmes remises !" Depuis les rayons de Millepages, à Vincennes, Pascal Thuot abonde : "Nous n’avons rien à gagner à une telle concentration. Et même si les outils et le personnel restent les mêmes, il y a fort à parier que les politiques commerciales changeront."
"Se faire avaler comme ça, c’est un peu dommage, non ?"
Plus modéré que ses collègues, Rémy Ehlinger, à la tête de la librairie Coiffard à Nantes, estime surtout qu’il est "urgent d’attendre", remettant en perspective l’opération avec la situation du racheté. "Nous savions que l’outil de diffusion Volumen était surdimensionné. Concernant la distribution, qui était devenue très performante tant au niveau du suivi qu’à celui des délais, on peut évidemment s’interroger, mais je refuse de crier avec les loups." Pour le libraire, le possible bouleversement est à chercher plutôt du côté des éditeurs : "Il y a de très belles maisons chez Volumen, à qui on donnait l’opportunité de travailler avec un bon diffuseur. Il faut qu’Interforum fasse les choses intelligemment, sans mettre ces éditeurs à la porte en augmentant les tarifs."
Enfin, si Inès Lavigne, qui gère la librairie Bookstore de Biarritz, explique être aussi dans l’attente, elle regrette de voir se former un groupe "créé pour concurrencer Hachette". Mais sa réaction, à l’image de toutes celles recueillies en libraire, se trouve aussi bien sur le terrain des chiffres que des sentiments : "Pour un groupe comme La Martinière, se faire avaler comme ça, c’est un peu dommage, non ?" M. D.