Ces deux-là étaient destinés à se rencontrer, s'apprivoiser, nouer amitié, partager leur grande passion : le livre. Jacques Allano, « un lecteur aguerri, d'une grande érudition dans tous les domaines », écrit Mérédith Le Dez, a longtemps officié au Pain des rêves, à Saint-Brieuc. Un nom choisi en hommage à Louis Guilloux et à son beau roman autobiographique (paru chez Gallimard en 1942). Entre Bretons...
En 2015, il avait pris sa retraite, l'année où elle publiait son premier roman, Baltique, roman fantôme, chez Le bruit des autres. Le jour même, la toute petite maison d'édition disparaissait ! « C'est Yves Prié, de chez Folle Avoine, éditeur-imprimeur au plomb, dans la grande tradition de René Rougerie, installé près de Rennes, qui m'avait parlé pour la première fois de Jacques », se souvient-elle. Mais, la librairie menacée de fermeture faute de successeur, Allano avait « rempilé », en 2019, à près de 70 ans. Et Mérédith s'est embarquée dans l'aventure, drôle d'employée d'un drôle de patron.
Pépins
« Passagèrement, je fus libraire », écrit-elle en incipit de son récit. Neuf mois, exactement, d'octobre 2019 à juin 2020. C'était bien la seule étiquette qui manquât sur sa malle d'amoureuse des livres et de la littérature. Née en 1973 dans l'Est, quoique d'ascendance bretonne du côté de son père, elle fut d'abord professeur de lettres, jusqu'à la fin 2006, à Saint-Brieuc, où son mari, prof de philo, avait été muté. Retour aux racines. Mais « excédée par une déclaration méprisante de Ségolène Royal sur le temps de travail des enseignants », elle se met en congé sans solde et, munie d'un master d'édition, crée une petite maison d'édition à son nom, MLD. Elle publiera une trentaine de titres (littérature, poésie, philosophie), avant de cesser son activité en 2013, pour des raisons économiques et suite à un grave pépin de santé, lequel lui causera des pertes de mémoire, pas encore résorbées. Ensuite, Mérédith Le Dez sera un temps bibliothécaire, avant de passer derrière un comptoir.
Le 14 juin 2020, Jacques Allano devait célébrer son soixante-dixième anniversaire. La librairie marchait plutôt bien. Jusqu'à la Covid, avec son premier confinement. Même si l'activité ne cesse pas totalement, jamais remis d'un profond chagrin personnel survenu en 2018, il marque le coup. Ses amis le voient changer. « J'ai perdu tous mes repères », confie-t-il. « C'est le confinement qui a tout flanqué par terre, explique Mérédith. Ça l'a renvoyé à sa solitude. Et, surtout, il n'a pas supporté ce « non-essentiel » appliqué au commerce de la librairie, humiliant, blessant, comme une négation de toute sa vie ». Alors, le 16 mai 2020, en dépit de la réouverture toute récente des librairies, Jacques se suicide, un geste qu'il avait manifestement « mûri ».
Récolte
Après le départ de Mérédith, en juin, la librairie a failli fermer définitivement. Mais elle a été reprise par Achille Sofer, un Parisien qui a changé de vie et s'est installé à Saint-Brieuc. On peut donc toujours continuer à partager Le pain des rêves. « C'est amusant, note Mérédith Le Dez, qui s'intéresse, entre autres, à l'onomastique : Sofer, en hébreu, ça signifie « le livre ». Mon nom à moi, Le Dez, veut dire « le jour » ou « l'étendard ». Quant à Mérédith, un prénom rare, il signifie « grand seigneur » en gallois. Mon père était prof d'anglais, ceci explique cela ! »
C'est tout naturellement que la romancière - mais aussi poète, auteure de sept recueils depuis 2008, parus chez de petits éditeurs, Folle Avoine, La Lune bleue ou Mazette, qui précise : « J'aime bien sûr la micro-édition, mais j'envoie aussi des manuscrits à de « grands » éditeurs, qui les refusent ! » - a pris la plume pour célébrer l'ami disparu, dresser son portrait en libraire. Mais à sa façon, sous forme d'une lettre qu'elle lui a adressée chaque jour, du 22 novembre au 21 décembre 2020, jour du solstice d'hiver et date importante dans les religions celtiques. Quant à l'éditeur, ça s'est fait très simplement : « Je connaissais le travail de Philippe Rey, et j'admire profondément son auteure, Joyce Carol Oates. Il était passé à la librairie en mars 2020. J'avais apprécié son élégance et sa courtoisie. Je lui ai envoyé mon manuscrit, comme à quelques autres. Il a tout de suite réagi, accepté, et nous avons retravaillé le texte ensemble ».
Pour la suite, Mérédith Le Dez ne manque pas d'enthousiasme : « De nouvelles librairies sont en train d'ouvrir à Saint-Brieuc, dit-elle. Et il y a eu la création du festival "Ouvrez la parenthèse", porté par l'association Lire à Saint-Brieuc avec le soutien de la mairie ». Deux récompenses y sont décernées : un prix Heather Dohollau pour la poésie ; et un prix Jacques Allano pour la prose.
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Mérédith Le Dez, Un libraire, Philippe Rey, 144 p., 16 euros. Mise en vente le 2 septembre 2021.