31 AOÛT - ROMAN Etats-Unis

On peut le lire comme l'histoire d'un raté - et à cette aune-là, nous sommes tous, ou presque, des ratés. Dès les premières lignes, l'auteur nous explique en effet que son héros, William Stoner, n'aura laissé pratiquement aucune trace ni dans les coeurs, ni dans les esprits de ceux qu'il aura côtoyés de son vivant. Et pourtant, il entreprend quand même de nous raconter cette vie.

John Williams- Photo DR/LE DILLETTANTE

Fils unique d'un couple de paysans du Middle West, William Stoner entre à l'université du Missouri dans les années 1910, au département d'agronomie : ses parents l'ont envoyé là dans l'espoir qu'il apprendra les nouvelles techniques agricoles. Mais entre deux cours sur la chimie des sols, les élèves ont droit à un peu de culture générale. Un vieux professeur pas encore complètement désabusé tente d'ouvrir ces jeunes bouseux aux beautés de la littérature. Stoner mord à l'hameçon. Abandonne l'agronomie et toute idée de retour à la ferme. Passe son doctorat et devient prof dans l'université où il était étudiant. Là s'arrête la belle histoire. Pour le reste, Stoner rate tout. Son mariage. Sa vie sexuelle. Une liaison avec une jeune élève. Et même son métier. Il met vingt ans à comprendre pourquoi il a choisi d'être professeur - pour être un "passeur" - et encore vingt ans pour comprendre qu'il n'a pas été un très bon passeur. L'âge de la retraite est arrivé : il n'en profitera pas. Un cancer le cueille en quelques mois.

Lui-même professeur à l'université du Missouri, et lui-même petit-fils de paysans, John Williams a publié son roman en 1965. Sans rencontrer le moindre écho. Du moins, en surface. Mais, depuis quarante-cinq ans, des lecteurs fervents se transmettent le mot de passe comme un sésame : "Stoner" ! C'est en lisant dans The Guardian une interview de Colum McCann, où celui-ci expliquait tenir Stoner pour un chef-d'oeuvre absolu, qu'Anna Gavalda a voulu connaître l'ouvrage. Il n'avait jamais été traduit en français. Elle a demandé à son éditeur de toujours, Le Dilettante, d'en acquérir les droits. Et... elle s'est lancée elle-même dans sa traduction. Le résultat est excellent. La plume de Gavalda s'est parfaitement pliée à cette atmosphère de stoïcisme mutique qui baigne le livre. Car Stoner, toute sa vie, sera resté à peu près aussi taiseux et soumis aux vicissitudes du destin que ses paysans de parents - on n'échappe pas à ses racines. A ceci près qu'aura germé en lui une graine peu répandue dans les prairies poussiéreuses du Middle West : la littérature. Dont on pourrait penser qu'elle ne sert à rien. Sauf à penser que le maïs non plus ne sert à rien.

31.05 2016

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