« L'histoire commence comme un conte de fées, à Nice, une famille unie et sereine, à qui l'avenir promettait le bonheur et la paix », souligne Jean d'Ormesson lors de l'admission de Simone Veil à l'Académie française. « La suite est une tragédie », ajoute Dominique Missika qui se penche sur le clan. L'historienne s'est déjà intéressée à Léon Blum, à des héros de la Résistance - Petit Louis, Berty Albrecht, l'Institutrice d'Izieu - à des Françaises du XXe siècle ou à la guerre qui sépare ceux qui s'aiment. Ce sont un peu tous ces thèmes qu'on retrouve dans ce livre-ci.
On s'y invite chez les Jacob, des gens « chaleureux ». Le père, architecte, entraîne les siens sur la Côté d'Azur car il pressent un boom immobilier. C'est là que naît Simone, la benjamine. Elle vient après Milou, Denise et Jean. Un quatuor qui s'adore. Autre figure phare, la mère, Yvonne, souvent comparée à Greta Garbo. Le foyer respire la sérénité, mais en 1940, leur situation va basculer. « Tout contribue à piéger les Juifs français comme les Jacob. » Parfaitement intégrés, laïcs, engagés (le père a fait la Grande Guerre) et Républicains, ils sont persuadés de ne pas être concernés par les lois antijuives. Mais le père n'a soudain plus le droit d'exercer son métier. Alors que Simone doit passer son bac, elle est privée de scolarité.
Les Jacob ne pensent pas à fuir, ils sont inconscients du danger à venir. Seule Denise semble aux aguets. Elle se jette corps et âme dans la Résistance. Blonde aux yeux bleus, elle s'avère insoupçonnable, y compris lors de son arrestation. Voilà pourquoi elle est envoyée comme résistante à Ravensbrück. Si sa judéité avait été soupçonnée, elle aurait fini à Auschwitz, comme sa mère et ses sœurs. Celles-ci se serrent les coudes pour survivre à trois. Yvonne périt sous les yeux de ses filles. Elles ne s'en remettront jamais.
Pour Simone, « la liberté n'a pas le goût espéré, elle se sent affreusement seule. Le bonheur d'être rentrée n'existe pas. Elle vient d'un autre monde. » L'univers concentrationnaire dont personne ne veut entendre parler. Autre réalité, la différence de traitement entre Denise, promue figure de la Résistance, et ses deux sœurs, « victimes juives » devant raser les murs. « Peu importaient nos douleurs », et la force qu'il leur a fallu pour survivre, regrette Simone. L'ère est à l'héroïsme et à l'effacement du passé, mais on ne sort pas indemne de l'Enfer.
Comment réintégrer « le monde des vivants » ? Les trois sœurs optent pour la voie des études, de l'amour et de la solidarité. Elles deviennent mères, sans parvenir à faire le deuil de leurs disparus. A priori, elles « donnaient le sentiment d'être comblées pour ceux qui les connaissaient superficiellement. Elles avaient un jardin caché, le chagrin d'avoir perdu leur famille et la souffrance des camps ». Dominique Missika décrit justement cette dualité qu'on a voulu cacher, alors même qu'elle fait toute la complexité de Simone ou de Denise. Elle dresse à la fois le portrait d'une époque et le courage de ces femmes debout, qui n'ont jamais renoncé à leur identité propre ou familiale.
Les inséparables : Simone Veil et ses sœurs
Seuil
Tirage: 7 000 ex.
Prix: 19 euros ; 256 p.
ISBN: 9782021400540