Pendant dix ans, les deux dictateurs ont été liés pour le meilleur et pour le pire. Surtout pour le pire évidemment. Durant cette décennie, Hitler et Mussolini se sont rencontrés dix-huit fois. Ces entrevues ont été consignées dans les archives diplomatiques des deux pays, dans des documents d'une dizaine de pages. Ils constituent le matériau principal - avec le journal de Ciano, le gendre de Mussolini, et celui de Joseph Goebbels - de ce livre original qui permet de mieux comprendre comment a fonctionné ce duo infernal.
Historien de l'Italie et du fascisme, Pierre Milza a déjà montré qu'il savait formidablement raconter, dans ses biographies - Mussolini (Fayard, 1999) ou Garibaldi (Fayard, 2012) - comme dans ses études plus circonstanciées - Les derniers jours de Mussolini (Fayard, 2010, repris en Pluriel, 2012). Dans ce nouveau livre, il examine les conditions des différentes rencontres et reconstitue les conversations entre les deux "caporaux" de l'Europe.
L'axe Rome-Berlin fonctionne à la faveur d'une admiration graduelle et mutuelle. On s'échange des photos dédicacées et on se congratule de lutter avec tant d'acharnement contre le bolchevisme. Pourtant le couple est mal assorti, si ce n'est dans les excès et les horreurs. Néanmoins, l'union est scellée en 1937 à Berlin par le Duce. "Quand le fascisme a un ami, il marche avec cet ami, jusqu'au bout." En 1943, on est tout de même proche de la rupture. "J'en ai plein le dos de ce Hitler." Mais Mussolini ira jusqu'au terme de cette folie, car les deux hommes se fascinaient l'un l'autre.
Et pourtant, la première entrevue ne tourna pas à l'avantage de Hitler. A Venise, en juin 1934, Mussolini apparaît en bottes à éperons, poignard à la ceinture, toutes décorations dehors, le menton tendu au-dessous d'un fez à franges. Avec ses chaussures défraîchies, un chapeau cabossé et un imper mastic trop petit, le Führer ressemble, lui, "à un ouvrier allemand arborant un vêtement de cérémonie pour une promenade dominicale".
Hitler est certes ému de rencontrer son modèle politique, mais il veut aussi le convaincre de son projet idéologique. Le rapport de force va donc vite s'inverser. Mussolini parle allemand, mais pas assez pour comprendre le délire verbal d'un Hitler emporté par sa fièvre raciste. Désormais, le plus souvent, l'Italien sera sommé d'écouter le monologue de l'Allemand qui lui fait avaler toutes les couleuvres de la guerre. Même lors de leur ultime entretien à Görlitz en juillet 1944, après l'attentat manqué contre Hitler, Mussolini demeure sous le magnétisme de cet homme qui lui confie sur le quai de la gare qu'il est peut-être son seul ami au monde.
Pierre Milza ne prétend pas raconter toute la Seconde guerre mondiale au travers du prisme Hitler-Mussolini. Mais il éclaire un peu mieux la nature des liens entre ces deux hommes qui ont conduit l'Europe dans le chaos, en fantasmant chacun sur leur vision d'un régime autoritaire et en misant sur les faiblesses des démocraties pour y parvenir.