Anne Serre, admirable auteure des Débutants (Mercure de France, 2011) et de Petite table, sois mise ! (Verdier, 2012), appartient à cette espèce qui a épousé la littérature. Des noces mystiques. Illustration dans cet original Dialogue d’été, texte sur l’écriture et la vie, le désir, le deuil, la fiction, la solitude de la création… sans théorie abstraite, très imagé au contraire et tendu de fulgurances douces et pénétrantes.
Ça se présente comme un entretien. Une écrivaine répond aux questions d’une mystérieuse interlocutrice. Au début, les réponses sont une tentative de définition. L’intervieweuse s’impatiente, recadre, demande des précisions, des exemples. L’interviewée temporise calmement. Entrer dans la littérature, c’est, explique-t-elle, comme pousser la porte du jardin des délices - une porte dérobée - et se promener dans les allées. Un miracle. Les personnages ? sa "troupe", là pour "laisser quelqu’un d’autre parler en soi", "une espèce de cour des miracles" avec "pas mal de jeunes filles", une femme en robe blanche, "une femme folle et rousse qui fait la roue" en robe verte… C’est encore fabriquer une histoire vraie avec des images truquées, posséder "la carte biseautée" du roman, aimer passer d’un monde à l’autre.
Mais petit à petit, il apparaît aussi un but central de la quête : donner un corps, une nouvelle vie à une femme, la mère, morte quand sa fille avait 10 ans. Rechercher "le son que faisait sa présence". "J’ai tant perdu le souvenir d’elle que je dois la recomposer. Il me semble que je n’ai jamais eu de mère. Je suis la femme sans mère comme on peut être sans ombre."
Alors, on peut lire ce dialogue comme une profession de foi sur l’engagement d’écrire, une réflexion sur le danger trouble de confondre les personnages et les gens de la vraie vie mais aussi comme le portrait miroitant d’une femme sans mari ni enfant, qui ne veut rien céder sur son désir, amie facile, amoureuse incapable d’aimer au grand jour, grande voyageuse qui s’applique à faire le tour de ce "pré rond et vert" dont, enfant, elle devinait les formes depuis les fenêtres de la maison de ses grands-parents. Une écrivaine passée depuis ses trente ans "de l’autre côté, du côté où l’on œuvre après avoir tout recueilli". Quelle collecte ! Véronique Rossignol