U n décret du 9 octobre vient de fixer «le siège et le ressort des juridictions en matière de propriété intellectuelle». Traduisons : Rachida D., ancien mannequin chez Dior exfiltrée au musée Grévin et au Parlement européen, a, lorsqu’elle gardait les Sceaux, décidé de compliquer la vie des justiciables. Sa réforme de la «carte judiciaire» prévoyait tant de suppressions de tribunaux que certains de nos concitoyens se sont vu proposer d’effectuer plusieurs centaines de kilomètres avant de pouvoir exposer leur cas… devant un juge. Après la justice de proximité, nous voilà au temps de celle de l’éloignement. Ce déni d’accès à un service public vient d’atteindre son acmé en matière de droit d’auteur. En vertu du décret précité, entré en vigueur le 1 er novembre, seuls neuf tribunaux sont désormais compétents, dans toute la France, pour traiter d’affaires de propriété littéraire et artistique. Et ce, quels que soient les parties et le litige en cause. Dès qu’un article du Code de la propriété intellectuelle est invoqué (durée des droits, contrat d’édition, contrefaçon, j’en passe et des meilleurs), il est interdit d’assigner en dehors de «Bordeaux, Lyon, Marseille, Nanterre, Nancy, Paris, Rennes et Fort-de-France». Auteur versus éditeur, éditeurs entre eux, éditeur attaquant un site web… seules ces neuf villes pourront traiter vos litiges, au lieu de quelque 150 palais de justice jusqu’ici, qui achèveront toutefois les affaires en cours. L’idée sous-jacente ? Spécialiser les juges, comme si, à Nancy ou Toulouse, ne siégeaient que des ploucs incapables de comprendre un litige littéraire. A lire certaines décisions rendues à Paris ou Nanterre, juridictions pourtant pourvues de juges réputés posséder un savoir particulier en ce domaine (mais dont la carrière les amène à changer de chambre, voire de palais, à un rythme qui ne permet guère de maîtriser les subtilités du Code de la propriété intellectuelle), j’avais déjà tendance à pratiquer mon shopping judiciaire et à préférer plaider à Bourg-en Bresse ou Orléans. J’y gagnais au moins l’assurance d’une écoute attentive ( «Ah, enfin une affaire qui sort de notre ordinaire !» ), sans compter une meilleure compréhension des enjeux intellectuels et économiques locaux. Au lieu de cela, mes chers magistrats de la 3 e chambre du tribunal de grande instance de Paris, qui croulent déjà sous les dossiers, vont devoir traiter tout ce que le tribunal de commerce voisin absorbait, ainsi que les dossiers de leurs pairs siégeant au civil à Bourges ou Nouméa ! Les Rémois iront à Lille, les Aurillacois à Bordeaux et les Guérétois à Lyon. La SNCF va devoir accélérer son programme de liaisons TGV. Tout cela a le mérite d’être dissuasif, ne serait-ce que pour le choix de l’avocat à consulter. Mais plutôt que de pleurer sur le b… que cette réforme ne va pas manquer de provoquer, je préfère, avec Samuel Corto, prendre le parti d’en rire. Son roman, Parquet flottant , paru cette rentrée chez Denoël, est plus qu’éloquent sur le délabrement, l’encombrement de la justice – ou, pour être plus exact, de l’institution judiciaire. Sa lecture devrait être obligatoire pour tous les têtards sortant de l’Ecole nationale de la magistrature et qui oscilleront un temps entre le Burgaud et la paresse, avant de rêver occuper la place Vendôme.