2043. Non, ce n’est pas le titre d’un film de Wong Kar-Wai (c’était 2046 ), mais le terme fixé par The Economist à la presse papier payante. Au-delà, terminé : le Net et les gratuits auront définitivement gagné la guerre. Dans Une presse sans Gutenberg (Grasset, octobre 2005), Bruno Patino et Jean-François Fogel listaient déjà les diverses dates prophétiques pour le même verdict, annoncées ici et là depuis dix ans : 2004 (c’est râpé !), 2011, 2024, 2040… L’exercice peut bien sûr faire sourire (et d’abord, pourquoi 2043 plutôt que 2042 ou 2044… ?), il n’en traduit pas moins les interrogations, pour ne pas dire les angoisses, des entreprises de presse. Cette même semaine dernière, tandis que The Economist consacrait ainsi sa Une à la question (avec ce titre choc : « Qui a tué les journaux ? »), Libération publiait vendredi un entretien avec David Targy, directeur d’études au cabinet Précepta, auteur d’une volumineuse étude (plus de 340 pages…) parue début juillet et intitulée Stratégies de développement des médias sur l’Internet . Des stratégies, il en existe en effet plusieurs. Quelle est la bonne ? Personne, pour l’instant, ne sait y répondre, tant les chiffres sont à la fois parlants et accablants. Ainsi, aux Etats-Unis, The Economist soulignait que la publicité dans la presse écrite avait stagné au 1 er semestre 2006, alors qu’elle avait augmenté de 35% sur le Net. Mais comme le faisait remarquer David Targy dans Libération , les rentrées publicitaires des sites Internet des médias sont encore dérisoires et n’assurent pas leur rentabilité : 150 millions d’euros, en France, pour l’année 2005 (avec des tarifs souvent bradés), soit une goutte d’eau par rapport aux 16,5 milliards de chiffre d’affaires publicitaire des médias (télévision comprise) pour la même année. Ne pas être présent, pour un journal, sur le Net, c’est aujourd’hui suicidaire. Mais être présent n’est pas forcément moins suicidaire. La grande question que tout le monde se pose aujourd’hui, (car on sent bien que c’est de sa plus ou moins bonne résolution que dépendront tout à la fois la pérennité des journaux papier, et l’équilibre économique de leur version Internet), c’est celle de l’articulation entre le contenu papier et le contenu numérique. Et pour l’instant, tout le monde tâtonne. Le New York Times a, par exemple, prévu de fondre l’année prochaine ses deux rédactions en une seule, à la faveur de son emménagement dans le nouvel immeuble qu’il se fait construire. Mais personne n’est en mesure de dire si une telle mesure est la panacée. Inutile de préciser qu’à Livres Hebdo aussi, on se pose la question : notre site vient tout juste de démarrer et nous en sommes encore à essuyer les plâtres, mais nous avons bien compris qu’il ne suscitera la curiosité, et que l’hebdomadaire ne continuera à susciter la curiosité, que si nous trouvons un juste équilibre et une juste complémentarité entre les deux médias. Difficile dilemme — mais passionnant au demeurant. Une chose est sûre, comme le soulignait David Targy dans Libération : les « sites alibis » (comme dans la PQR, qui se contentent de lister les titres des quotidiens) ou les « sites compagnons » (un simple décalque de tout ou partie de l’édition papier), « parce qu’ils ne tiennent pas compte des spécificités d’Internet », sont condamnés à terme. Le problème vaut aussi pour l’édition. Après s’être timidement lancés sur Internet, les éditeurs s’en sont d’abord tenus à des « sites catalogues ». Puis on a vu apparaître une deuxième génération, voire pour certains une troisième génération de sites, plus fouillés, plus riches, plus interactifs. Dans certains domaines privilégiés — le scolaire, les sciences humaines, les essais… —, mais aussi dans les littératures de genre (la SF, la Fantasy…) et pourquoi pas dans la littérature tout court ou les documents « brûlants », la prime ira demain aux éditeurs les plus inventifs, qui sauront proposer une articulation originale entre le livre papier et ses développements sur le Net. Comme l’expliquait au printemps Malo Girod de l’Ain (MM2 Editions) dans notre série « Le livre dans 10 ans », l’amour ou l’intérêt pour tel ou tel livre suscite souvent des « communautés » d’affinités entre lecteurs. Or, le Net est justement l’outil communautaire par excellence. Puisque l’époque est aux prophéties, risquons la nôtre : Mieux un journal réussira son site Internet, et plus longue sera sa pérennité sur papier (on le voit déjà avec le Nouvel Observateur , référence des sites d’information en ligne, et qui continue la course en tête des news magazine ; à l’inverse, l’Express qui a sans doute le site le plus raté de toute la presse française, perd des lecteurs en kiosque). Et mieux un éditeur réussira sa vitrine sur le web, mieux il sera remarqué en librairie.