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Les pièges de la littérature

Les pièges de la littérature

La parole défaillante, l'homme du droit au cœur du roman moderne de Richard H. Weisberg (L'Epitoge, avril 2019) interroge les rapports entre droit et littérature dans les ouvrages classiques.

Les Éditions L'Épitoge viennent de publier en France la traduction en français d'un ouvrage incontournable pour qui s’intéresse aux rapports entre le droit et la littérature. Il s’agit de La Parole défaillante, L’homme du droit au cœur du roman moderne (Dostoïevski, Flaubert, Camus, Melville) qu’a signé Richard H. Weisberg, fondateur de la revue Law and Literature, professeur de droit à la Yeshiva University située à New-York. Publié aux États-Unis en 1984, sous le titre The Failure of the Word (Presses de l'Université de Yale), l'ouvrage est depuis lors considéré comme le "chef de file du courant américain Droit & Littérature".

Cette aire de recherche recouvre des situations variées, allant du droit applicable à la littérature (qui comprend notamment le droit d’auteur) au droit comme littérature (concept anglo-saxon traitant de la narrativité du droit), sans oublier "la littérature comme supplément rhétorique au discours juridique" (pour reprendre les termes d’un colloque fondateur organisé en 2006 par la Cour de cassation), l’impact des écrivains sur la justice (de Voltaire à Zola) ou encore la place du droit dans la littérature. Les criminels chez Truman Capote, André Gide ou Jean Giono, les contrats chez Balzac, le serment chez Shakespeare, le procès chez Kafka ou Dostoïevski, attestent de la richesse de ce dernier thème. Rappelons aussi que, en France, est née il y a deux ans la revue Droit & littérature grâce à LGDJ, dont le troisième opus vient de sortir.

Reflet de la société

Pour en revenir au livre de Richard H. Weisberg, édité dans la cadre de l’excellente collection "L’Unité du droit" dirigée par le Professeur Mathieu Touzeil-Divinasoulignons que son auteur a livré, entre autres, Vichy Law and the Holocaust in France (1998), traduit en français en 2000 sous le titre Vichy, la justice et les juifs (Archives Contemporaines, 2000).        
 
Ce qui permet en partie d’expliquer sa volontédans La Parole défaillante, d’explorer "à travers l'analyse d'oeuvres ayant pour auteurs Dostoïevski, Flaubert, Camus et Melville, comment un discours d'une grande séduction formelle peut se faire le véhicule d'une parole empoisonnée par le ressentiment". Deux questions en surplomb apparaissent alors: ce mécanisme n'aurait-il pas joué un rôle majeur dans l'incapacité de l'Europe à empêcher la survenue de la Shoah et cette littérature ne serait-elle pas le reflet d'une société profondément malade ? 

Les "romans juridiques" de Fedor Dostoïevski sont examinés pour en conclure à un "échec de la vision narrative chrétienne"Chez Gustave Flaubert, c’est l’"échec de la vision narrative héroïque" qui est disséqué à travers Salammbô et L’Éducation sentimentalealors que les poursuites judiciaires contre Madame Bovary ne sont pas évoquées. L’Étranger et La Chute d’Albert Camus permet d’interroger la "légalité littéraire durant la Shoah".  Enfin, Billy Budd, matelot d’Hermann Melville permet à Weisberg d’analyser "l’utilisation créative des lois à des fins personnelles".

Et, pour conclure, l’auteur d’inviter le juriste à méditer sur les pièges que peut receler le formalisme juridique. Cette vision de la littérature, parfois déroutante, présente donc le mérite d’une lecture nouvelle et souvent stimulante de ces classiques.

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