23 août > Essai Royaume Uni > Philippe Sands

En Europe centrale, chaque coin de rue est porteur d’histoire. Cela est d’autant plus vrai dans ces lieux qui ont changé de noms durant le tumultueux XXe siècle. Lviv, Lvov, Lwów ou Lemberg désignent la même ville aujourd’hui en Ukraine, non loin de la frontière polonaise. La même ville, mais pas la même histoire. C’est le point de départ du formidable travail de Philippe Sands.

En voulant raconter la naissance du droit international qui s’élabore lors du procès de Nuremberg, il constate que Hersch Lauterpacht et Raphael Lemkin, les deux juristes qui ont introduit les notions de crime contre l’humanité et de génocide, avaient eu le même professeur de droit à Lemberg. Sur la piste de ces deux destins remarquables, Philippe Sands retrouve aussi son grand-père Leon Buchholz qui a passé son enfance à Lemberg avant de trouver refuge à Paris pour y finir ses jours presque centenaire.

Impossible dès lors d’éviter ce Retour à Lemberg où les secrets de famille s’imbriquent dans les secrets de l’histoire. Le voyage s’accomplit donc intellectuellement et physiquement. Ce juriste international franco-britannique, spécialisé dans la défense des droits de l’homme, puise dans les archives, compulse les textes, exhume des photos, des lettres, mais se rend aussi sur place pour renouer les fils distendus de ce drame où les morts furent nombreux.

Inévitablement, Philippe Sands tombe sur Hans Frank, l’avocat et ministre de la Justice d’Hitler, gouverneur général de la Pologne occupée, condamné à la pendaison par le tribunal de Nuremberg en 1946. Dans la banlieue de Hambourg, il retrouve son fils Niklas Frank, aujourd’hui chef du service étranger du magazine Stern, qui ne dissimule rien de la responsabilité de son père dans la "solution finale". En revanche, le fils d’Otto von Wächter, gouverneur de Galicie, considère que son père, qui a créé une division SS composée de volontaires ukrainiens, n’est pas un criminel et qu’il n’est qu’un rouage de la mécanique génocidaire nazie.

De cette enquête de six ans, Philippe Sands a tiré une histoire personnelle et universelle. Sur cette terre ensanglantée d’Europe centrale, il se fait archiviste, archéologue, voyageur et témoin de son propre passé. Mais le professeur de droit à l’University College de Londres n’oublie pas les deux figures qui irradient son livre : Hersch Lauterpacht, l’exilé devenu grand juriste à Cambridge, et Raphael Lemkin, personnage fascinant qui compulse tous les textes de l’ordre infernal nazi pour démontrer son infamie. Il démontre qu’Hitler veut priver les Juifs de leur nationalité, les rendre apatrides et vulnérables pour les éliminer. Lemkin ne cessera de se projeter dans l’avenir pour que le droit international puisse condamner cette "déshumanisation" qui conduit au génocide. Grâce à eux, l’idée d’une cour pénale internationale est devenue réalité.

A ces deux figures exceptionnelles, il faut ajouter Leon et Rita Buchholz pour que le puzzle soit complet. Leur fille Ruth a épousé un Anglais et s’est installée à Londres. C’est la mère de Philippe Sands. Ce dernier a étudié le droit international à Cambridge. Son professeur était le fils de Hersch Lauterpacht. L. L.

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