6 mars > roman France

Il faut se souvenir des années 1980, lorsqu’un prosateur français publiait chez Hachette/ P.O.L d’incroyables polars littéraires à nul autre pareils. Impossible d’oublier le choc causé par Lerevenant (1981, repris en Folio), par Sur la terre comme au ciel (1982, un dessin de couverture signé Bilal et une photo de l’auteur arborant des lunettes noires, adapté à l’écran par Michel Deville sous le titre Péril en la demeure, repris en Folio) ou encore par L’enfer (1986, repris en Folio) qui lui valut plusieurs récompenses dont le prix Femina.

René Belletto n’a ensuite jamais cessé d’alimenter une œuvre riche et exigeante, d’aller toujours là où on ne l’attendait pas. Le revoici au premier plan avec Le livre. Un opus cotonneux où l’on avance à tâtons, où l’on navigue sans cesse entre rêve et réalité. Michel Aventin, le narrateur, tente de repousser "l’assaut de chimères" tout en étant sujet à des bourdonnements d’oreille, des vertiges, des pertes de connaissance.

Le héros de l’auteur de Hors la loi (P.O.L 2010, repris en Folio) porte une chevalière en or trouvée en Bretagne sur une côte déserte, bague qu’il nettoie avec application, comme il le fait pour sa télécommande. Celui qui roule dans une Dodge Reborn bleu clair dont il tire la plus grande satisfaction a écrit des scénarios pour la télévision sous des noms d’emprunt et a même joué, sous son propre nom, dans un "film fantôme", Le retour, vite disparu des écrans.

Plus douloureuse encore est la disparition quatre mois plus tôt de sa sœur Elisabeth, belle et brune pianiste dont il était très proche. Michel ne se remet pas de son décès dans une clinique du 15e arrondissement où elle résidait. Il a sombré dans le chagrin, la tristesse et l’isolement. Séparé de Liliane, il habite seul une maison avec jardin dans le 17e arrondissement, rue de la Roue, où il se prépare un "austère manger" après avoir fait ses courses à la boulangerie ou au Shopi des alentours, et revoit des vieux classiques du 7e art réalisés par Michael Curtiz ou Raoul Walsh.

Il est décidé à aller remercier le personnel de la clinique où a été soignée Elisabeth, et notamment Eva Tircée, l’infirmière qui l’a si bien veillée. Michel achète à l’intention de celle-ci un stylo en or blanc et projette de lui offrir. Sur place, la chambre 18 qui fut celle d’Elisabeth accueille désormais un homme dont le regard haineux à son endroit le terrifie. Le patient a été heurté par une automobile, il a une barbe et des cheveux gris, prétend se nommer Cyril Mallier…

Il suffit de quelques pages à René Belletto pour installer un climat flottant, pour distiller le mystère et attacher définitivement aux pas de Michel Aventin. Lequel se demande s’il ne rêve pas sa vie et dort comme il peut dans un grand lit en palissandre où l’assaillent parfois d’affreux cauchemars. L’écrivain, lui, navigue parfaitement entre le thriller, le fantastique à l’ancienne et le romantisme noir. Et promène son lecteur fasciné dans un Paris étrange dont il prend un malin plaisir à redessiner la topologie.

Le livre, on l’a compris, est un Belletto d’exception. Aussi onirique et surprenant que long en bouche.

Alexandre Fillon

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