Dans la moisson des albums de la rentrée, celui-ci est remarquable à plus d’un titre. D’abord, c’est le premier opus que l’Italienne Elena Ferrante signe pour la jeunesse. Ensuite, il pose la question, tabou s’il en est, de l’abandon de l’enfant. La poupée Celina a été oubliée sur la plage. Disons plutôt que Mati, la petite fille qui lui sert de maman, n’avait plus d’yeux que pour son nouveau chaton.
A moitié enfouie sous le sable, Celina voit arriver la nuit et sa cohorte de personnages inquiétants. Tel le Cruel Plagiste du Couchant, flanqué de son fidèle Grand Râteau. Son regard ne plaît pas du tout à la petite poupée. Ses chansons lugubres où il est question du sort de ses proies, encore moins. La talentueuse illustratrice Mara Cerri ne montre jamais son visage, ce qui le rend encore plus terrifiant. Très vite, Celina finit entre les dents de Grand Râteau, avant d’atterrir sur un tas où elle rejoint un Cheval en plastique, un Bouchon en métal et un Stylobille. Sa maman viendra la chercher, sans doute est-ce un jeu qu’elle a inventé pour lui faire peur, se dit Celina pour se rassurer. En attendant, le Cruel Plagiste est mécontent de la récolte du jour, nul bracelet en or, nul collier. Seulement cette poupée moche, geint-il. Mais une poupée qui parle, ça peut rapporter gros sur le marché des jouets.
A l’aide d’un hameçon, il tente de lui extorquer tous les mots qu’elle a en elle. Un supplice qui n’est que le commencement d’autres à venir. Ouf ! L’aube apporte réconfort et retrouvailles avec Mati. Avec ce conte qui sonde sans mièvrerie la peur de l’abandon, le pouvoir du langage et l’ambivalence des relations mère-fille, la célèbre Elena Ferrante donne du grain à moudre aux psychanalystes de tout poil. Fabienne Jacob