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Les jeunes revues littéraires, une communauté vivace au modèle économique fragile

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Les jeunes revues littéraires, une communauté vivace au modèle économique fragile

La France compte plus de 1 300 revues littéraires. Ces titres aux approches variées et souvent pluridisciplinaires sont la plupart du temps l'oeuvre d'une poignée de passionnés constitués en associations et opérant avec des moyens limités. Petits tirages et auto-distribution caractérisent également ces acteurs en quête perpétuelle de mécènes et de subventions.

 

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Par Adriano Tiniscopa,
Créé le 10.05.2023 à 15h19 ,
Mis à jour le 10.05.2023 à 18h36

« La revue, c’est de l’artisanat et beaucoup de générosité, ceux qui s’y consacrent, le font souvent à côté de leur travail nourricier », affirme Yannick Kéravec, directeur depuis 2017 du site Ent’revues, « la revue des revues francophones » lancée en 1986. Derrière les jeunes périodiques se trouvent ainsi des revuistes exerçant à mi-temps et exerçant par ailleurs un autre métier : éditeur, enseignant, journaliste, ou encore publiciste, comme c'est le cas pour la revue de nouvelles L’autoroute de sable. Ils se structurent en association, un modèle facile à monter pour éviter de supporter de trop lourds coûts de structure et qui « facilite l'accès à certaines aides et dispositifs publics comme embaucher un service civique », ajoute Lucas Bidault, directeur de publication de la revue trimestrielle Sphères.

Les revuistes littéraires sont donc animés de leur passion plus qu’ils ne vivent de leur objet. « C’est un travail bénévole, pas une source de revenus », raconte Léa Boisset, éditrice (Lextenso) et journaliste pigiste, cofondatrice de la nouvelle revue de photographie et de poésie Mouche. Un pas de côté dans le champ éditorial pour certains, un support apprécié pour l'espace de liberté qu'il apporte pour d'autres, « les revues sont en tout cas convaincues de faire quelque chose d’important, il y a une véritable nécessité », souligne François B., l’un des gérants de la librairie EXC spécialisée en poésie contemporaine. C'est le cas aussi bien pour les titres aux assises historiques que pour les périodiques plus avant-gardistes, expérimentaux et transdisciplinaires relevant d'un « marché de niche ». « C’est un lieu d’échanges, d’une grande diversité, une vitrine qui permet de publier des gens connus mais aussi de lancer de jeunes auteurs », assure Maud Simonnot, directrice de la Nouvelle revue française (Gallimard).

Dépasser son cercle premier, élargir sa communauté

Les revues nouvelles sont le fruit d'une volonté collective et d'une réflexion commune pour promouvoir un genre, un sujet ou bien des auteurs. L’activité est périlleuse pour elles, notamment lorsqu'elles publient des plumes méconnues moins susceptibles de trouver un lectorat. Les salons, les marchés, les soirées de lecture en librairie et les réseaux sociaux leur permettent d’exister via le bouche-à-oreille, de développer leur communauté et parfois de décrocher des abonnements. « C’est une forme de reconnaissance, une adhésion de principe, une base de confiance qui s’établit », considère Yannick Kéravec. Coûts de fabrication, d'impression, de routage, action promotionnelle, rémunération d’auteurs ou de traducteurs, les jeunes pousses revuistes doivent assumer leurs conditions matérielles pour se pérenniser. Trouver des financements au long cours reste donc l'une de leurs principales difficultés.

A la quête de subventions, de bourses ou de mécènes

« On a commencé avec un concours de Paris-Nanterre qui nous a en grande partie financé, puis on a eu une subvention de la Sorbonne », explique Léa Boisset. Même son de cloche pour la revue linguistique Affixe qui s'est lancée grâce à une bourse obtenue sur dossier auprès de la fondation Michalski. Outre le « crowdfunding » (financement participatif), les revues peuvent aussi se tourner du côté du Centre national du livre qui disposait en 2022 d'une enveloppe globale de 740 000 € et qui a aidé 190 revues. Mais « il faut un an d’activité et un tirage moyen à 250-300 exemplaires », note Tugdual de Morel, coéditeur d’Affixe, téléopérateur et ancien vacataire à la faculté de Nanterre. L’organisme explique de son côté avoir besoin d’apprécier la création du contenu et se préoccuper du lectorat. « Cela suppose donc d’être un peu visible et qu’il y ait un certain nombre d’exemplaires diffusés », explique-t-on au CNL.

Petits tirages et auto-distribution

Diffusées à très faibles tirages, 250-300, voire 500 exemplaires, les jeunes revues vivent de leur collaboration avec les librairies. « Notre meilleur allié, c’est le libraire ! lance Tugdual de Morel. Il permet d'organiser des événements pour incarner la revue et la faire vivre ». Les périodiques fonctionnent aussi beaucoup grâce au système de dépôt, en auto-distribution. « C'est une forme de prêt provisoire, la revue est déposée en un ou plusieurs exemplaires et on facture les numéros vendus au bout de plusieurs mois », explique François Ballaud de la librairie EXC. L’accord est négocié à l'amiable avec les revuistes. « On est moins négociateurs, prêts à faire des efforts économiques, on a une fierté de proposer la création la plus contemporaine, la plus avant-gardiste », témoigne-t-il. Pour Yannick Kéravec, cet aspect logistique, « c'est une deuxième vie qui commence » après celle qui consiste à « réunir des talents, choisir des imprimeurs et des graphistes ».

Petites ou grandes, historiques ou nouvelles, associations ou SAS, les structures qui meuvent les revues sont en tout cas portées par une poignée de passionnés. Ils ne sont que deux, trois ou quatre bénévoles dans le cadre des jeunes revues littéraires. Ces collectifs ont aujourd'hui moins le souci de faire autorité que de partager une réflexion commune et un espace d'écriture avec toujours cet intérêt et cet enthousiasme pour leur contemporanéité.

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