Rentrée littéraire 2021

Les habitués du palmarès des libraires : Lydie Salvayre, Amélie Nothomb et Sorj Chalandon

Lydie Salvayre - Photo H. Triay

Les habitués du palmarès des libraires : Lydie Salvayre, Amélie Nothomb et Sorj Chalandon

Livres Hebdo a compilé les dix dernières années de son palmarès des romans de la rentrée littéraire des libraires. Six auteurs et auteures régulièrement plébiscités par les libraires sont au rendez-vous en 2021. Dans un premier temps, Lydie Salvayre et son ode à un mentor, et Amélie Nothomb et Sorj Chalandon, qui retracent le parcours de leurs pères. Trois portraits d’hommes au tempérament tumultueux, indociles et insaisissables.

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Par Thomas Faidherbe,
Vincy Thomas,
Créé le 21.07.2021 à 13h00

Les libraires plébiscitent chaque année plusieurs auteurs dans le palmarès Livres Hebdo des romans de la rentrée littéraire. Ce classement rassemble à la fois de grands noms de la littérature, des auteurs habitués des meilleures ventes ou encore des espoirs qui pourraient bousculer les valeurs sûres de la rentrée.

Cette année encore, plusieurs titres vont émouvoir, faire voyager ou frissonner les lecteurs pendant la rentrée littéraire, qui s’amorce dès le 19 août.

Livres Hebdo a compilé les dix dernières années du palmarès, dont le prochain sera dévoilé dans le numéro d’octobre de LH Le Magazine et recense les six romans de la prochaine rentrée signés par des auteurs constamment présents dans le classement.

Rêver debout, de Lydie Salvayre (Seuil, 19 août)

Avec son nouveau roman, Lydie Salvayre s’enflamme pour l’univers de Cervantès. En effet, pendant le confinement qui a marqué l’ensemble des Français, l’auteure a relu L’ingénieux Don Quichotte de la Manche. Sa relecture l’a tellement passionnée qu’elle s’est mise à écrire plusieurs lettres à l’adresse de Miguel de Cervantès. Après trois confinements et plusieurs mois d’écriture, l’auteure tire de cette expérience un roman dans lequel une femme d’aujourd’hui interpelle Cervantès, inventeur de Don Quichotte, héros éponyme de son roman, dans une suite de quinze lettres qu’elle lui adresse à travers le temps. "Dans un ton très libre, tour à tour ironique, cinglant, cocasse, tendre, elle dresse l’inventaire de ce que le monstre sacré du roman picaresque a fait subir des mésaventures à son héros pourfendeur de moulins à vent", précise la maison dans un communiqué.

Au fil des pages de Rêver debout, l’auteure brise les codes temporels, en employant des références historiques de tous les siècles, comme J.M.G. Le Clézio, Victor Hugo, Gabriel García Márquez ou Spinoza. Elle convoque également le romancier espagnol pour mieux parler de l’époque actuelle. "Pardonnez-moi, Monsieur, de m’adresser à vous avec les mots de mon époque, mais votre livre me ramène si furieusement à notre présent que je finis par oublier que quatre siècles nous séparent", écrit-elle dans son ouvrage. Lydie Salvayre rend hommage à cette "figure de colérique au grand cœur, cet insurgé infatigable, cet intempestif, ce tumultueux, cet indocile, qui savait dire non à l’intolérable inégalité entre les êtres comme à l’indifférence blasée, cette créature de fiction dont les rêves et les aspirations d’un autre siècle étaient encore et toujours les nôtres".
 

Amélie Nothomb- Photo PASCAL ITO

Premier sang, d’Amélie Nothomb (Albin Michel, 18 août)

Il y a aussi l’ombre des grands poètes qui plane sur la destinée de Patrick : celle de Rimbaud, Baudelaire, Shakespeare et surtout Rostand avec son Cyrano. "Il ne faut pas sous-estimer la rage de survivre", annonce l’écrivaine belge qui sort, comme à chaque rentrée, son nouveau roman. Premier sang, le vingt-neuvième de sa bibliographie, commence par une exécution, celle de Patrick, 28 ans, au début des années 1960. Son père est mort en service en 1937. Sa mère, Claude, veuve inconsolable, l’a laissé à ses parents, un général et son épouse, la "Bonne-Maman". Élevé dans son cocon des hautes sphères bruxelloises, plus ou moins abandonné par sa mère, qui préfère être mondaine, Patrick fut envoyé en pleine Seconde Guerre mondiale, pour les vacances d’été, dans le château des Nothomb. Ici règne un avocat et poète, Grand-père, père de son père, sa deuxième épouse et une bande de sales gamins mal élevés, mal nourris, endurcis par un darwinisme où survivre se résume à encaisser les humiliations et à manger un bout de pain et de la compote à la rhubarbe.

Amélie Nothomb décrit longuement l’enfance de Patrick et ses deux familles si opposées qui gravitent autour de lui. Les liens du sang président ainsi à sa croissance. La vue du sang, en revanche, pose problème : il s’évanouit aussitôt. Lors de ce long flash-back, on découvre l’adolescence puis la jeunesse du père de l’écrivaine. "Mon père, ce héros" aurait pu être un titre tout aussi valable. Patrick Nothomb a survécu à tout : l’absence du père, les étés frugaux chez son grand-père, l’impossibilité de devenir militaire, l’engagement résigné à être diplomate, l’amour pour la poésie.

"Il est courtois, brillant, pacifique, éloquente…", comme le souligne sa Bonne-Maman. Il est envoyé au Congo décolonisé, bien avant la Chine et le Japon que l’écrivaine a déjà raconté dans ses romans les plus "stupéfiants". Et loin des Ardennes rimbaldiennes ou de son épouse, restée dans la capitale congolaise, le voici prêt à être exécuté par des rebelles qui se lassent des palabres diplomatiques tandis qu’ils tuent leurs otages dans l’indifférence. Le sang de son père s’apprête à couler. Primus sanguis. Amélie Nothomb n’est pas encore née. Soixante ans plus tard, consciente que son existence tient d’une fraction de seconde et de la décision d’un homme étranger à sa famille, elle retrace cet épisode politico-historique.

Pour elle, le syndrome de Stockholm est bien plus proche "d’une variante de l’érotomanie qui peut se compliquer d’un masochisme paradoxal". Cette définition résumerait bien toute la vie de ce père, qui, tour à tour, a adulé ou vénéré des gens qui ne l’ont jamais vraiment aimé.

Pour compléter la lecture, on peut lire Dans Stanleyville, de Patrick Nothomb, paru en 1993 aux éditions Racine et réédité aux éditions Masoin en 2007.
 

Sorj Chalandon- Photo JEAN-FRANÇOIS PAGE/GRASSET
Enfant de salaud, de Sorj Chalandon (Grasset, 18 août)

Après son septième roman, Profession du père (Grasset, 2015), largement inspiré de sa propre enfance, le romancier revient, lui aussi, avec Enfant de salaud à ses origines et à un passif douloureux. Dans ce récit personnel, où le lecteur retrouve les thèmes chers à l’auteur (l’enfance, la figure du père, la guerre, l’héroïsme et ses légendes), Sorj Chalandon raconte l’histoire d’un père, le "salaud".

Pendant son enfance, l’auteur écoutait les exploits de son père, Jean, résistant pendant la Seconde Guerre mondiale. Fasciné par cette homme imprévisible, violent et parfois fantasque, le narrateur d’Enfant de salaud finit par découvrir la vraie identité d’un père aux multiples facettes, au détour d’une conversation entre son grand-père et sa grand-mère. "Ton père portait l’uniforme allemand. Tu es un enfant de salaud !", écrit-il dans son livre.

Cette révélation vient tout bousculer dans l’esprit de l’auteur. Son père, "ce héros" de guerre, est en réalité un collaborationniste, qui a porté cinq uniformes en quatre ans de guerre, dont l’uniforme allemand et les habits des résistants FFI. Quelques années plus tard, en mai 1987, le fils devenu journaliste suit le procès du criminel nazi Klaus Barbie et apprend que le dossier judiciaire de son père sommeille aux archives départementales du Nord. Au bout de ce document, l’enfant de "salaud" découvre près de trois ans de la vie d’un "collabo", racontée par les procès-verbaux de police, les interrogatoires de justice, son procès et sa condamnation. Le fils croyait tomber sur la piteuse histoire d’un résistant mais il se retrouve face à l’épopée d’un Zelig. "Mon père avait été SS. À 31 ans, je repartais dans la vie avec cette honte et ce fardeau", écrit Sorj Chalandon dans Enfant de Salaud.

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