28 août > Histoire France

Une police supplétive, une organisation meurtrière, un lieu de perdition. Elle fut tout cela à la fois. La Milice française reste une des ombres très noires de Vichy. Voulue par Laval après le débarquement des Américains en Afrique du Nord en 1942, dirigée par Joseph Darnand à sa création au début de 1943, cette troupe avec sa dimension paramilitaire fit basculer le régime de Pétain dans la terreur fasciste. Michèle Cointet connaît bien cette période qu’elle étudie depuis plus quarante ans. Elle a déjà publié un Dictionnaire historique de la France sous l’Occupation avec son mari Jean-Paul Cointet (Tallandier, 2000) et surtout une Nouvelle histoire de Vichy (Fayard, 2001) où elle revisitait ces années sombres.

Son récit enlevé cherche à saisir les motivations politiques et les enjeux de cette structure créée pour accompagner la police allemande dans la répression contre la Résistance. Archives à l’appui, elle détaille les origines du recrutement, plutôt provincial et plutôt dans l’élite bourgeoise que chez les Lacombe Lucien et les déclassés sociaux.

Au cœur du livre, il y a la personnalité de Joseph Darnand, le héros de la Grande Guerre qui finit Sturmbannführer, l’équivalent de commandant, sous l’uniforme des Waffen SS. Il sera exécuté cinq jours avant Laval, détesté de tous. Un homme dont l’ascension « reste un mystère » pour Michèle Cointet. L’historienne se contente des faits, sauf dans le dernier chapitre où elle examine la mémoire de cette Milice dans le passé national, témoignage épouvantable d’une époque où les Français ne s’aimaient pas au point de se détruire et dont le rappel est revenu comme un coup de bâton au travers de Paul Touvier et de son procès en 1994.

Idéologiquement, l’anticommunisme toujours avancé comme motivation des miliciens n’explique pas leur engagement dans ce qui devint un instrument de guerre civile. L’antisémitisme fut au moins aussi puissant, tout comme l’appât du gain et la possibilité de fuir le STO sans prendre les risques du maquis. Il y a surtout une haine de la République et de la France déchue en 1940. C’est pourquoi dans ces bérets noirs se retrouvèrent côte à côte des intellectuels, des notables, des opportunistes, des truands et des assassins.

Le collaborateur est un cynique, comme l’écrivait Sartre. « Il hait cette société où il n’a pu jouer de rôle. » Le milicien est un type perdu, pour lui-même et pour son propre pays. Il finit par vouloir la destruction de sa terre plutôt que de la voir redevenir une démocratie dans laquelle il ne serait plus grand-chose. Le grand mérite du livre de Michèle Cointet est qu’il nous invite à réfléchir à tout cela. A ces spectres de l’histoire qu’il faut chasser par la seule arme qui vaille : la lucidité.

L. L.

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