Méfions-nous des dandys. Certains ne sont que ce qu'ils paraissent ; d'autres ne paraissent qu'à seule fin de mieux se dissimuler. Ceux qui ont lu Je pars à l'entracte (Nil, 2011), ode à l'ami perdu, savent que Nicolas d'Estienne d'Orves est de ceux pour qui la pudeur appelle le jeu de cache-cache. Il aurait été toutefois surprenant que ce livre, le premier dans l'oeuvre de ce polygraphe invétéré, résonnant d'accents aussi confessionnels, n'ait pas ouvert quelque brèche dans son "système littéraire" jusque-là un peu forclos. En d'autres termes, que ses grands romans populaires et de genre ne bénéficient pas à leur tour de cette petite musique plus intimiste.
C'est bien ce qui semble faire toute la force de ces Fidélités successives, sans doute un des livres événements de cette rentrée, >avec lequel il rejoint Albin Michel. Le souffle du romanesque et de l'Histoire y est comme colonisé par un récit plus personnel, d'une douceur assez amère.
Il était donc une fois, sur la petite île anglo-normande de Malderney, Guillaume et Victor, deux enfants rois, fils de la famille "régnante". Victor aime l'aventure, Guillaume dessiner. Et ni l'un ni l'autre ne semblent savoir qu'il y a un monde au-delà de l'horizon, et qu'il est, en cette fin des années 1930, singulièrement menaçant. Sa rumeur, ses séductions aussi leur sont pourtant apportées chaque été par un visiteur intranquille, Simon Bloch, fils de marchands d'art, producteur de films, arbitre des élégances d'un Paris qui n'en manquait pas. Simon Bloch qui est assez intelligent pour comprendre que son patronyme va lui poser à très court terme de graves problèmes... Entre-temps, il aura "débauché" le jeune Guillaume de son île, de son amour naissant pour sa demi-soeur, Pauline, de son enfance en somme, pour en faire le "it boy" du moment dans la capitale déjà soumise au futur occupant.
Nicolas d'Estienne d'Orves nous fait comprendre, à travers les égarements de Guillaume, combien en matière d'éducation sentimentale certaines périodes sont sans doute plus décisives que d'autres... On pourrait considérer comme artificiel, voire frivole, le procédé qui consiste à lâcher ce huron à gueule d'ange dans ce monde décadent du Paris de l'Occupation, entre un dîner avec Cocteau, Picasso et Aragon et une première de Darius Milhaud, tandis que passent les ombres de Maurice Sachs et de Rebatet. Cependant, si la reconstitution historique n'est pas pesante, c'est que la poétique du désastre n'est pas le propos de l'auteur. Son monde est avant tout une scène, un spectacle tragi-comique, et les références de cette fresque sont plutôt à aller chercher vers la Lola Montes d'Ophuls ou Les quatre cavaliers de l'Apocalypse de Minnelli. Ce qui n'interdit pas la gravité. Celle qu'annonce le titre de ce livre désenchanté, tant il est vrai qu'il n'est pour Guillaume Berkeley, comme sans doute pour Nicolas d'Estienne d'Orves, de fidélité qui vaille qui ne soit d'abord celle qui les lie à leur enfance.