Vous rappelez-vous ce film devenu livre désespérément drôle de Chaval qui s’appelait: Les oiseaux sont des cons . En ces temps troublés pour les milieux financiers on se retient de paraphraser ce maître du dessin d’humour : Les économistes sont-ils des cons ? Ou bien : Nous prennent-ils pour des cons ? De passage à New York nous ne sommes pas allés pas voir la cousine de ma femme cette année. En octobre 1987, nous étions chez elle le mardi suivant le « lundi noir » du krach de Wall Street. Son mari, « dans les affaires » avait du mal à avaler son dîner chinois. Je ne me souviens plus combien il avait perdu mais il y avait beaucoup de zéro. S’il nous avait revu cette année, je suis sûr qu’il nous aurait jeté son assiette à la figure. « Oiseaux de mauvais augure », comme on dit dans le Wild West. C’était un temps où les journaux américains riaient jaune, comme Chaval, en conseillant à leurs lecteurs de marcher près des buildings pour éviter les « jumpers », ceux qui lors de la grande crise de 1929 se jetaient des buildings. Heureusement en 87 les golden boys se sont contentés d’annuler leurs commandes de Porsche et de maisons de campagne. Personne n’avait rien vu venir. Avant qu’un obscur économiste (ils n’aiment guère la lumière, à part Jean-Pierre Gaillard) annonce qu’il avait pointé du doigt la bulle financière que les ordinateurs donneurs d’ordre ne manqueraient pas de provoquer. Les économistes, qu’ils soient profs, conseillers financiers ou journalistes expliquent ce qui s’est passé et, dans le tas, il y en a toujours un pour dire: je l’avais dit ! Une vrai catastrophe, ces types en costume gris à rayures, ces jeunots à la pochette qui dégueule de leur costume anglais et ces journalistes, col de chemise blanc, casaque bleue, dont la cravate a des velléités d’érection, qui défilent à la télévision. Finalement je préfère l’infantilisme des généraux en retraite pendant les guerres du Golfe qui continuaient à jouer aux petits soldats de plomb, à l’arrogance des économistes. Fin 1999 on a vu (à la télé) peu avant qu’éclate la « bulle internet » des gamins de 20 ans apprendre à de nobles sénateurs la « nouvelle économie ». Avec la scène incroyable de cet élu aux cheveux blanchis sous une trentaine d’années de mandat lui tendre sa carte de visite : « Trouvez un travail à mon petit-fils, ses parents ne savent plus qu’en faire ! » Où en est la « net économie » maintenant ! On se bat pour les matières premières qui aident au développement de l’ancienne économie. Les jeunes prétentieux du net ont disparu, à part Beigbeder (non pas l’écrivain, l’électricien). Rappelez-vous ces commentaires lus dans les journaux il y a quelques années encore conseillant à la France de devenir enfin « moderne » en privatisant Air France : « British Airways va nous bouffer ! » Finalement Air France brille de mille feux aujourd’hui et regardez British Airways !… Des exemples comme cela, on en a à la pelle. Le pognon, le pognon, le pognon ! Voici le seul objectif, la seule explication. Il y a une semaine, j’étais dans une des plus grandes librairies de Chicago quand j’ai pensé à Jérôme Lindon. Lui qui disait, un peu comme Chaval : « Il n’y a rien de plus triste qu’un best-seller qui ne se vend pas ». Il aurait aimé l’affiche en devanture de chez Broders : « Trois anciens best-sellers pour le prix de deux ! » A l’intérieur vous aviez le choix entre un Jay Mc Inerney de 2006, un Philip Roth, un Wiesel, etc. Où va-t-on ? D’autant que le rez-de-chaussée de cette librairie de trois grands étages était envahi d’agendas, de gadgets, de livres sur le monde vu du ciel (je ne me souviens plus si c’était d’hélico ou de satellite). Et de deux tables des best-sellers actuels : Harry Potter, des « girlies », des romans à l’eau de rose. Et pour les essais : Comment devenir millionnaire ? Je n’ai plus peur dans le noir, etc. Quelques jours plus tard nous étions dans le trou du cul du monde, à Petersburg (Kentucky) au Musée de la Création, splendide lieu où des vieux, des handicapés et quelques familles avec enfants, certains de cinq ans en battle dress, découvraient que Darwin n’avait rien compris puisque Dieu avait tout créé. Après des images des beautés du monde, des aquariums, des pierres précieuses et… des statues de diplodocus sur lesquels grimpaient les bambins, le clou du spectacle : Men in white . Dans une salle de cinéma digne du Futuroscope un show avec une petite fille sur la scène face à une photo de Monument valley sous la lune sur laquelle étaient projetés les deux « Men in white ». Salopette blanche, lunettes à la Polnareff ils sont répondre aux interrogations de la fillette. « En quoi croire en Dieu signifierait rejeter la science ? » demande un des anges voltigeant ? Suivent une série d’images où sont ridiculisés savants, profs, journalistes. Le monde n’a pas des milliards d’années comme disent ces incultes gauchistes, mais 4000 ans. C’est Dieu qui l’a créé. Point. On passe en revue la Genèse avec un ajout : Dieu le cinquième jour a créé les poissons –belle vue d’une baleine- et les… diplodocus. Sans doute que la foi oblige-t-elle à transiger avec Hollywood, depuis Jurassic Park . Mais Adam et Eve touchent au fruit de la connaissance. Noé est obligé de construire son arche vite fait ! Le tsunami recouvre la terre, dans des flashes de tonnerre, des tremblements de fauteuils (des spectateurs) et une petite pluie fraiche. Quand on ressort de la salle, un peu effrayé, on va suivre un parcours basé sur « le bien » et « le mal » chers à Président Bush. Ainsi oppose-t-on sur un mur une vingtaine de vieux livres (Descartes, Swift, Darwin, etc) à la Torah resplendissante. Et dire que l’on parle de « religion du Livre » ! Je ne sais pas pourquoi ce poster appelant à l’inculture m’a rappelé un des premiers propos de Christine Lagarde, femme intelligente, devenue ministre de l’Economie après avoir travaillé à Chicago où elle a dirigé l’un des plus grands cabinets du monde. Elle disait, parlant d’économie : « Nous possédons dans nos bibliothèques de quoi discuter pour les siècles à venir. La France est un pays qui pense. J’aimerai vous dire : assez pensé, maintenant retroussons nos manches ! » C’est appeler les Français et leurs économistes à se contenter de cervelles… d’oiseaux.