Ron Hansen est professeur d'arts et sciences humaines à l'université de Santa Clara, en Californie, ce qui doit le changer agréablement du rude Nebraska, où il est né en 1947. Auteur de huit romans, d'un recueil de nouvelles et d'un essai, il a obtenu plusieurs distinctions littéraires aux Etats-Unis, mais pas encore les prix les plus prestigieux. En revanche, l'un de ses meilleurs romans, The assassination of Jesse James by the coward Robert Ford a été magnifiquement porté à l'écran, avec Brad Pitt dans le rôle principal. Buchet-Chastel a publié en français la quasi-totalité de son oeuvre, dont l'excellent La nièce d'Hitler, qui reparaît simultanément en "Libretto" (Phébus).
Outre sa qualité d'écrivain, Ron Hansen, que l'on aimerait voir mieux reconnu en France, a l'art de choisir ses sujets. Il se fonde toujours sur des histoires authentiques, qu'il revisite, réinvente, dans un subtil va-et-vient entre la réalité et la fiction. Et toujours avec une pointe d'ironie, notamment dans les dialogues. Une irrépressible et coupable passion s'inscrit donc parfaitement dans l'oeuvre de Hansen, fasciné par le mal.
C'est l'histoire de Ruth Snyder, femme de moeurs légères et manipulatrice d'exception qui, en 1927, à New York et en pleine prohibition, parvient, après plusieurs tentatives personnelles ratées, à faire assassiner son vieux mari, qu'elle déteste depuis toujours, par le malheureux Judd Gray. Son amant "principal", dont elle a fait, avec l'aide du whisky, son esclave perinde ac cadaver. Justement, les deux complices ont fini sur la chaise électrique, lui avec dignité, elle de façon abominable. Leurs exécutions nous sont d'ailleurs racontées dans les moindres détails à la fin du roman, et ce chapitre, à soi seul, constitue un plaidoyer suffisant pour l'abolition de la peine de mort aux Etats-Unis.
Dès le début, on sait qui est la vraie coupable, même si elle imagine une mise en scène totalement délirante dans le dessein de duper la police. Aucun cambrioleur italien, costaud et violent, n'aurait pu faire le coup en abandonnant le meilleur de son butin : les bijoux de Ruth ! Les deux amants sont aussi diaboliques que pathétiques, ils n'ont aucune chance de s'en tirer. D'ailleurs, confondus, ils avouent tout : sauf que Ruth, garce et vulgaire, dans l'espoir de sauver sa peau, charge à fond Judd, lequel culpabilise et s'abîme dans son mysticisme naturel. En attendant la mort, dans leurs cellules - séparées - de Sing Sing, elle se préoccupe de son maquillage tandis que lui écrit ses Mémoires, Doomed ship.
Ce qui est remarquable, dans ce nouveau Hansen, c'est la reconstitution détaillée (presque un peu maniaque parfois) de l'Amérique des années 1920, en pleine euphorie malgré la prohibition et les crimes de la Mafia. Ce mélange très étasunien de débauche et de puritanisme. Et puis, tout le long processus qui mène au crime est raconté de façon passionnante. L'écrivain d'aujourd'hui parvient presque à nous faire oublier que le crime de Ruth Snyder a déjà inspiré autrefois deux romans à James M. Cain : le Facteur sonne toujours deux fois (1934) et Assurance sur la mort (1935), tous deux adaptés au cinéma, avec même un remake en 1981 pour Le facteur. Ron Hansen, lui, a bien fait de sonner une troisième fois.