Ce fut l’une des belles révélations de l’année 2016. Une Australienne, Elizabeth Harrower, auteure dans les années 1960 de quatre romans, ayant cessé d’écrire depuis et, peu ou prou, totalement oubliée. Jusqu’à ce qu’une petite maison d’édition de son pays publie voici trois ans un magnifique texte resté inédit, Un certain monde, traduit en France, l’an dernier donc, par Rivages. A près de 90 ans, une merveilleuse romancière, woolfienne bien sûr, mais aussi proche dans son romanesque subtilement féministe d’une Iris Murdoch ou d’une Shirley Hazzard, se faisait toute sa place dans notre paysage littéraire pour n’en plus partir.
La publication de Deux sœurs (titre très éloigné de l’original, The watch tower), l’ultime roman écrit avant sa "première retraite" et considéré comme le plus abouti, ne vient que confirmer pleinement cette enchanteresse première impression. Deux sœurs donc, Laura et Clare, qui, à l’aube des années 1940, quittent leur pensionnat et leur enfance avec, suite à la mort prématurée de leur père, pour aller vivre avec une mère résolument indifférente à elles dans la banlieue de Sydney. Bientôt, leur mère partie à son tour vers son pays natal, l’Angleterre, et alors que la guerre fait rage, Laura, l’aînée, tombe sous la coupe d’un homme, pervers narcissique et refoulé, tandis que Clare n’entend plus rien céder à sa liberté. Elizabeth Harrower, sans psychologisme excessif et maniant à merveille une atmosphère oppressante, fait de son lecteur ce qu’elle veut : un esclave heureux. O. M.