Avant-critique Roman

Leonard Cohen, "Un ballet de lépreux" (Seuil)

Leonard Cohen au concert « A Tribute to Leonard Cohen » à Gijón en Espagne, le 19 octobre 2011. - Photo JM - AFP - JAVIER SORIANO

Leonard Cohen, "Un ballet de lépreux" (Seuil)

Enfin publiés en France, un roman, des nouvelles et une pièce des débuts de Leonard Cohen témoignent de la virtuosité précoce de son écriture.

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Par Jean-Claude Perrier
Créé le 22.01.2024 à 09h00

Rêves, fantasmes et obsessions. On sait que, dans l'œuvre de Leonard Cohen (1934-2016), l'écriture, de poésie en l'occurrence, a précédé la chanson. Son premier recueil, Let Us Compare Mythologies date de 1956, et son premier album, Songs of Leonard Cohen, seulement de 1967. Ce qui aurait dû lui valoir le prix Nobel de littérature ainsi que l'a lui-même reconnu Bob Dylan, lauréat 2016, lorsqu'il reçut cette glorieuse distinction. Les deux monstres sacrés de la pop culture anglo-saxonne devenus icônes planétaires la méritaient.

De cette création littéraire qui jalonne le long parcours de Cohen demeuraient quelques inédits. Lorsqu'en 1963 parut The Favorite Game (édité en France sous le même titre, en 1971, chez Christian Bourgois), son premier roman publié, Cohen expliquait qu'il en avait écrit un autre à la fin des années 1950, demeuré inédit en dépit de ses efforts pour démarcher les maisons d'édition. C'est celui-ci, Un ballet de lépreux, sorti aux États-Unis en 2022, qui paraît aujourd'hui en français, augmenté de quinze nouvelles et d'une courte pièce de théâtre, Échange. Un recueil copieux et hybride, où le roman se serait suffi à lui-même, mais on ne va pas bouder notre plaisir.

Le Ballet de lépreux, très marqué par l'écriture de la Beat Generation et le cut-up cher à Burroughs, doté d'un certain humour post-surréaliste et de nombre de références à la judéité des personnages, met en scène un pauvre type, gratte-papier qui vit dans une chambre d'hôtel minable à Montréal. Du jour au lendemain, il voit débarquer chez lui son grand-père, un francophone qui habitait jusque-là à New York. Il l'accueille bien volontiers dans son petit chez-lui, au risque de rendre difficile sa liaison torride avec Marilyn, une vendeuse de chez Eaton, intello voire pédante, qui passe des heures à disséquer la façon dont ils font la chose... Mais le vieil homme, gâteux, répugnant, va vite se révéler un tyran, d'une violence incontrôlable. Dès son arrivée à la gare, il tabasse un policier avec sa canne. Sans raison, acte gratuit. De son côté, le supposé petit-fils, orphelin, va se mettre à persécuter odieusement le bagagiste de cette même gare, sous prétexte qu'il le trouve laid. Il ira jusqu'à coucher avec sa femme, devant lui, pour l'humilier. Les épisodes s'enchaînent, tous plus absurdes et gênants, jusqu'à une pirouette finale, dont on conservera le mystère. Ce qui frappe, dans ce texte, c'est l'humour débridé de Cohen, son goût pour le nonsense et un côté politiquement incorrect.

Caractéristiques que l'on retrouve dans les quinze nouvelles qui suivent, notamment dans « Cent costumes de Russie », où Cohen campe une famille juive dont le grand-père, autrefois brillant talmudiste, est devenu un vieillard gâteux, encore un. Le petit-fils, lui, est poète et musicien. Il y a aussi ce cycle de trois nouvelles consacré à M. Euemer, un homme sans histoires, marié, qui va se faire piéger par un beau garçon blond, gigolo et maître chanteur. Dans un autre texte, il développe une véritable phobie du poil.

Des textes de jeunesse, qui font preuve d'une réelle profondeur d'inspiration et d'une belle virtuosité d'écriture, et raviront les aficionados de l'artiste. Sans parler des psychanalystes.

Leonard Cohen
Un ballet de lépreux
Seuil
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 22 € ; 336 p.
ISBN: 9782021532500

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