Un des avantages du leporello, ce livre accordéon qui séduit parfois des auteurs de bande dessinée (1), c’est qu’il se lit sur ses deux faces, ramenant le lecteur à son point de départ. Celui de Philippe Dupuy se situe à la genèse de son travail, lorsqu’il se présente, à 17 ans, en 1978, au concours d’entrée de l’école des Arts décoratifs, à Paris. Contraint de plancher sur Beaubourg et Matisse plutôt que sur la bande dessinée, seul sujet qu’il connaît alors, il se perd entre Goya, Rembrandt ou Jérôme Bosch. Son entrée à l’école et la fréquentation du critique d’art Pierre Cabanne (1921-2007), qu’il a pour professeur, vont l’aider à se repérer.
Le dessinateur entraîne son lecteur dans une déambulation personnelle sur des chemins de traverse de l’histoire de l’art. On est loin de l’histoire académique : sur 46 mètres de dessins (deux fois 23 mètres, de chaque côté de l’accordéon), soit l’équivalent de 192 pages, Philippe Dupuy réfléchit à la définition de l’art. Lui qui s’est fait connaître par ses travaux à quatre mains avec Charles Berbérian (Monsieur Jean, Henriette…), avant de suivre son propre chemin, s’interroge sur ses limites, se passionne pour les "bricoleurs" comme Alexander Calder, Jean Tinguely ou Michel Gondry. Il médite sur la notion d’abstraction.
Surtout, convoquant Picasso et Léonard de Vinci, Duchamp, Kandinsky, Pollock, Buren, Dalí ou Joel-Peter Witkin, mais aussi ses compagnons de BD, Jochen Gerner ou un certain Christian Pied-de-nez qui évoque furieusement Blutch, il rebondit d’un artiste et d’un concept à l’autre. S’il pose quelques repères à travers une visite au Louvre ou un rappel de l’exposition fondatrice de l’art contemporain, en 1969 à Berne, il tire son propre fil en utilisant toutes les potentialités du leporello. Il trace des lignes droites ou sinueuses, figure des carrefours et des bifurcations, et fait ressortir, en déconstruisant la structure traditionnelle de la bande dessinée pour la réinventer, la richesse de son art à lui. Fabrice Piault
(1) Tels Pascal Rabaté avec Fenêtres sur rue : matinées, soirées, et Frédéric Bézian pour Le courant d’art : de Byrne à Mondrian, de Mondrian à Byrne (Soleil, 2013 et 2015).