Bien que situé à l’époque contemporaine par Guy Boley, son auteur-narrateur - 64 ans et presque autant de métiers avant de se consacrer au spectacle -, Fils du feu semble remonter à des temps anciens. Quand, dans la province française (Besançon), on trouvait encore des forgerons, comme le père de Jérôme, le héros, homme rude, taiseux inculte, mais ferronnier d’art virtuose. Avec lui, dans son antre qui rappelle, aux yeux du gamin fasciné, celui du dieu Vulcain, travaille Jacky, un gars mystérieusement arrivé et qui repartira un jour, lorsque avec le "progrès" tout aura changé et que le métier sera mort. "Mon premier grand amour", confie Jérôme, qui en vivra plus tard bien d’autres, étudiant en lettres à Paris, et fera son coming-out auprès de sa mère, compréhensive.
Le père, lui, n’aurait pas compris. Après le départ définitif de la sœur aînée, la mort du petit frère Norbert, la disparition de la forge, la fermeture du dépôt des locomotives à charbon, il a commencé à picoler. Il a même frappé sa femme, une fois, et s’est fait casser la figure par Jacky. Combat de titans sous les yeux de Jérôme, toujours féru de mythologie comme de littérature, qu’il découvre de façon empirique. Lui aussi s’en ira pour devenir peintre. En attendant, il passe son enfance entre l’enclume du père, condamnée, et la folie de la mère, que le deuil a rendue marteau. Pour elle, Norbert n’est pas mort et elle continue de lui inventer une vie.
Tourmenté entre le monde des hommes, violent, mais sensuel, et celui des femmes, impressionnant et aussi morbide, la mère et son délire, la grand-mère, cuisinière spécialiste des grenouilles, dont elle fait un vrai "carnage", et l’éveil de sa sexualité, le garçon a du mal à trouver sa place avant que la littérature et la peinture ne lui servent de catharsis.
Fils du feu n’est pas un "roman d’initiation" de plus. L’histoire est servie par une écriture qui se grise de mots, célèbre notre langue et celles qui l’ont nourrie : "Le vent d’est traînait par la crinière des lambeaux de consonnes teutonnes, de voyelles latines, d’empreintes sumériennes, cunéiformes ou coptes", écrit Boley. J.-C. P.