Il ou elle embrasse l'âge adulte, regrette l'insouciance de l'enfance, se déchire intérieurement face à un chagrin d'amour, s'affranchit du cadre familial ou professionnel, se reconnecte à cette nature qui souffre... Surtout, il ou elle se rêve ailleurs. Car les protagonistes de cette rentrée littéraire s'efforcent, comme l'an dernier, de raviver leur imaginaire en éveillant leurs sens, osant la fiction et s'écartant des récurrentes biographies romancées.
Le ton est d'abord donné par plusieurs romans générationnels. C'est au cours d'une fête que les corps transpirants des adolescents Flora et Zac s'effleurent pour la première fois dans L'effet Titanic de Lili Nyssen (Les Avrils). La chaleur humide de la boîte de nuit en bord de plage excite L'homme qui danse de -Victor Jestin (Flammarion). La jeune Agnès Mascarou se plonge dans un univers coloré et peuplé de drag-queens dans Laisse tomber la nuit (Hors d'atteinte). Le juvénile personnage de Que reviennent ceux qui sont loin de Pierre Adrian (Gallimard) étreint lui l'âge adulte au cours de ses soirées d'été bretonnes. Cette bascule vers la maturité est jonchée d'épisodes brutaux dans la vie du jeune garçon homosexuel de Moi qui ai sourile premier de Daniel Arsand (Actes Sud). Bestial aussi le rapport qu'entretient Romy, 20 ans, avec son corps dans Chienne et louve de Joffrine Donnadieu (Gallimard). À l'aube de la vingtaine, tous deux travaillent dans un fast-food et crèvent d'ennui. D'un côté, Pierre Guénard introduit Harry, un rêveur qui est persuadé de devenir un jour rock star dans Zéro gloire (Flammarion). De l'autre, la narratrice de Claire Baglin (En salle, Minuit) se souvient de son père ouvrier tout en répétant, durant ses longues journées de travail, les mêmes gestes. Pour tromper l'ennui, Bombonne, 16 ans, décide de suivre une mauvaise influence dans Le balato de Djamel Cherigui (JC Lattès). Grandir vous dites ? Pauline Desmurs, 21 ans, préfère retourner en enfance dans Ma théorie sur les pères et les cosmonautes (Denöel).
Chair de ma chair
Passé les premiers émois, le corps de nos héros et héroïnes se transforme. Elle devient mère et les relations polyamoureuses de L'inconduite d'Emma Becker (Albin Michel) sont bouleversées. Après la naissance de son deuxième enfant, la narratrice de Les chairs impatientes de Marion Roucheux (Belfond) ressent le besoin d'aller voir ailleurs. Patricia de Souza explore de son côté les sentiments les plus controversés d'une femme dans sa relation aux hommes (Loin du Pérou, Arcane 17). Une passion amoureuse fait ressurgir des interrogations existentielles et donne Le goût du vertige dans le dernier roman de Stéphane Chaumet (Éditions des Lacs). Entre rage et désespoir, Erika endure une rupture amoureuse et réveille par la même occasion le passé meurtri du Rwanda dans Ainsi pleurent nos hommes de Dominique Celis (Philippe Rey). L'homme à zéro sentiment et qui pleure à présent se trouve être le narrateur de Nicolas Fargues (POL). Une histoire de passion et sensualité à plus de 70 ans ? Dany Héricourt vous prouve que c'est possible dans Ada et Graff (Liana Levi). La différence d'âge n'a pas d'importance pour Simon Liberati et sa suggestive Performance (Grasset).
Corps et âme maltraités
Les femmes victimes de viols ou d'épisodes brutaux survenus durant l'enfance font l'objet de nombreux romans cette année encore. Un amour de jeunesse tourne à l'agression dans la première œuvre d'Agnès de Clairville, La poupée qui fait oui (Traversée, Harper Collins France). La reconstruction d'une femme victime d'inceste est explorée dans Une somme humaine de Makenzy Orcel. La petite menteuse de Pascale Robert-Diard (L'Iconoclaste) a été reconnue victime de viol alors qu'elle a menti sur les faits. Dans La nièce du taxidermiste de Khadija Delaval (Calmann-Lévy) le lecteur est ici témoin des agressions que subit Baya un été en Tunisie. A-t-elle été agressée ou pas ? Sur l'écran de sa télévision, Léna Moss reconnaît le visage d'un homme recherché pour viols en série avec qui elle vécut une liaison autrefois. Ses souvenirs s'entremêlent dans Hommes d'Emmanuelle Richard (L'Olivier). Une lignée de femmes victimes de violences apparaît dans la fresque aux accents écoféministes d'Annie Lulu (Peine des faunes, Julliard).
Nouveaux mondes
Quitte à se projeter, Emmanuelle Bayamack-Tam invente une communauté millénariste à la fois féministe, queer et animaliste. Ici, les êtres fragiles récitent Nerval et Rimbaud et célèbrent des messes poétiques : c'est La treizième heure (POL). Pour Emmanuelle Pirotte (Cherche Midi), Les reines règnent à Brittania où l'humanité a renoncé au progrès matériel et retiré au sexe masculin ses anciens privilèges. Alors qu'il se retrouve, lui, devant ce qu'il avait imaginé comme une société idéale, le narrateur de C'est plus beau là-bas de Violaine Bérot (Buchet-Chastel) est en proie à l'angoisse. Réfugié en France, le héros de Mahmud Nasimi (Chant de la mélancolie : Dunkerque 2021-Kaboul 2080, éditions du Palais), rêve d'un Afghanistan paisible, tandis que d'autres écrivains plongent dans un avenir plus sombre. Laurent Gaudé (Chien 51, Actes Sud) bâtit une cité hyperconnectée aux règles coercitives quand Mirwais décrit le totalitarisme exercé par les multinationales et Les tout-puissants milliardaires du numérique (Séguier). Dans la cité portuaire de Basile Galais (Actes Sud), Les sables mouvants reflètent l'intranquillité contemporaine.
Nature et littérature salvatrices
Si, au cours des années précédentes, le réchauffement climatique a pris une place prédominante dans les processus narratifs avec des romans sur la fonte des glaces ou sur l'extinction des espèces, en 2022 les écrivains reviennent sur le pouvoir rassérénant de la nature. Grâce au silence de la forêt en pleine montagne, La sauvagière de Corinne Morel- (Dalva) retrouve la paix. Préservées à l'intérieur de la maison de leur enfance, deux jeunes filles profitent de l'environnement naturel pour se reconstruire dans Les filles bleues de l'été de Mikella Nicol (Le nouvel Attila). Dans une vallée près du Mont-Blanc, le jeune citadin du roman de Valentine Goby (L'île haute, Actes Sud) découvre la neige et s'éblouit.
Par la lecture ou la découverte de la littérature, plusieurs personnages de cette rentrée finissent aussi par aller mieux. C'est en lisant Proust que Clara découvre sa vocation de comédienne dans le roman de Stéphane Carlier (Clara lit Proust, Gallimard). Pour le narrateur du Salon d'Oscar Lalo, c'est plutôt la découverte hasardeuse de La tentation de Saint-Antoine de Flaubert qui change sa vie. C'est en déménageant en ville que le jeune Mokhtar découvre les joies de la lecture et l'écriture dans Mokhtar et le figuier d'Abdelkader Djemaï (Le Pommier). Henri, un écrivain débutant, était déjà passionné de Proust lorsqu'il s'éprend, un été, de Luce Simonnet : la jeune femme porte le même patronyme qu'Albertine dans À la recherche du temps perdu (Une saison avec Luce de Henri Raczymow, Canoë). Côté exofiction, Rémi David restitue la relation amoureuse et passionnée entre Abdallah, analphabète de 18 ans, et Jean Genet dans Mourir avant que d'apparaître (Gallimard). Dans La part des cendres (Albin Michel), Emmanuelle Favier relate l'aventure intrépide de la future Comtesse de Ségur.
S'évader dans le temps et l'Histoire
L'évasion arrive de la main d'Aude Walker qui signe Les cavales de ses personnages en quête de réponses entre l'aride désert et les grands canyons de la Californie (Fayard). Dans le même État américain, le héros de Michaël Collado est kidnappé par un gourou obèse (Mexicayotl, Do). Pas moins loufoque, William traverse l'Espagne en pleine Guerre civile pour empocher son billet de loto dans El gordo de Xavier Mauméjean (Alma). Les vacances démarrent mal pour le couple mis en scène par Yves Ravey à Taormine (Minuit). Pour le personnage sénégalais d'Antoine Rault, le voyage s'arrête en Franche-Comté où il accepte une offre de chauffeur (Monsieur Sénégal, Plon). Au contraire, Oumar Faye retrouve les rites et coutumes du Sénégal après huit ans d'absence dans Ô pays, mon beau peuple d'Ousmane Sembène (Presses de la cité). Enfin, Malena, décide de s'installer à Gênes, loin de son Argentine natale et de la dictature, écrit Marie-Christine Tinel dans Malena c'est ton nom (Elyzad).