L’effet Dicker dynamise la scène littéraire romande

Joël Dicker, vedette du Salon du livre de Genève. - Photo Pierre Albouy/Salon du livre de Genève

L’effet Dicker dynamise la scène littéraire romande

Un roman américain écrit par un Genevois distingué par les Français soulève l’enthousiasme des Suisses. Pour les éditeurs locaux, il reste néanmoins difficile d’être reconnus en France.

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Par Hervé Hugueny
avec Créé le 17.10.2013 à 18h49 ,
Mis à jour le 08.05.2015 à 15h07

Près de quatre mois après son triomphe de l’automne, Joël Dicker, grand prix du Roman de l’Académie française et Goncourt des lycéens 2012, a encore dédicacé pendant deux heures La vérité sur l’affaire Harry Quebert dès le premier jour du Salon du livre de Genève, sur « La place suisse », le stand dédié aux auteurs romands ou traduits de l’alémanique. « Il a balayé les préjugés sur cette littérature suisse, dont on pense encore à l’extérieur qu’elle est triste et ennuyeuse », se réjouit Françoise Berclaz. La libraire, responsable de La Liseuse à Sion, avait sélectionné avec deux de ses consœurs l’offre de cette librairie éphémère qui revendiquait sa suissitude. « Je crois que nous avons un pays propice à l’écriture, dont la géographie favorise la réflexion intériorisée », analyse-t-elle. Cette source d’inspiration puisée au creux des vallées est toujours bien vivace, comme en témoigne Le milieu de l’horizon, le troisième roman de Roland Buti tout juste paru chez Zoé, qui raconte cet été 1976 pendant lequel une étouffante canicule dérègle tout.

Mais nombre d’auteurs vont chercher l’air ailleurs, entretenant l’image des écrivains voyageurs devenue une spécialité romande, ou s’appropriant les codes d’une littérature éprouvée. Dans ce registre, le roman « américain » du jeune écrivain genevois est exemplaire. Et son succès local illustre parfaitement l’interaction indépassable avec la France : le livre a bénéficié d’une bonne couverture dans les médias romands dès sa publication, mais c’est la reconnaissance française, consacrée par des prix, qui a vraiment soulevé l’enthousiasme des Suisses. « Nous en sommes à 85 000 exemplaires sortis », indique- t-on chez L’Age d’homme, coéditeur genevois du livre. C’est exceptionnel pour un lectorat francophone d’environ 1,5 million de personnes. Le même ratio appliqué en France donnerait 3,7 millions d’exemplaires ! A 462 741 volumes vendus à la mi-avril selon Ipsos par de Fallois, le coéditeur français du roman, le succès est indéniablement remarquable.

Cette alliance avec une maison parisienne, déjà ancienne dans le cas de L’Age d’homme et de de Fallois, révèle aussi en creux la difficulté des éditeurs locaux à obtenir l’attention du grand voisin, et le pragmatisme dont certains d’entre eux font preuve. Expliquer que leurs homologues d’Alsace, d’Aquitaine, de Bretagne, de Provence, etc., rencontrent la même indifférence à Paris ne les console pas vraiment d’années « de services de presse même pas ouverts », proteste Bernard Campiche auprès du journaliste qui lui tombe sous la main. Anne Cuneo, son auteure phare, mériterait à juste titre un peu plus d’intérêt. Tout est possible, comme le montre l’exemple de Zoé, maintenant très bien identifiée en France, mais après des années de relations publiques entretenues par Marlyse Pietri, la fondatrice, à laquelle Caroline Coutau a succédé.

Baisser ses prix.

Editrice de Nicolas Bouvier, Ella Maillart, Robert Walser, entre autres auteurs d’un beau catalogue, la maison ne pratique pas la coédition, mais s’est trouvé un soutien indispensable en diffusion-distribution avec Harmonia Mundi, dont elle diffuse aussi les éditeurs en Suisse. Une représentation qui lui apporte un complément de revenu précieux, mais lui vaut aussi les mêmes ennuis que les autres diffuseurs avec la Comco. La distribution en France est à la fois nécessaire et risquée pour ces maisons, dont les ventes moyennes sur le marché romand se comptent plutôt en centaines d’exemplaires qu’en milliers. « On peut se retrouver avec plus de retours que de ventes », prévient Claude Pahud, fondateur des éditions Antipodes à Lausanne, qui publie des sciences humaines. Il est représenté par le CID, qui diffuse aussi les éditions d’En bas, autre éditeur de SHS de Lausanne. Et pour être vendues en France, ces maisons doivent aussi baisser leurs prix, tout comme des éditeurs français en Afrique, toutes proportions gardées…

Les éditeurs littéraires s’orientent plutôt vers la diffusion des Belles Lettres, ou celle d’Harmonia Mundi, qui représente notamment Olivier Morrattel éditeur, du nom du fondateur, récent sur la scène littéraire romande. Très déterminé dans sa communication, son autre métier, il insiste sur la couverture médiatique qu’il a déjà obtenue pour sa douzaine de livres : plus de 200 articles ou émissions. La profusion de quotidiens, d’hebdomadaires, de radios en Suisse romande assure à de toutes jeunes maisons un écho qui ferait rêver de plus grands éditeurs français. Et le succès de Joël Dicker a amplifié ce phénomène, dont ont profité les éditions des Sauvages (Genève), ou encore Torticolis et Frères, « éditions sérieuses et sympathiques », dont la production tenait sur une table au Salon de Genève, mais que tous les libraires connaissent déjà. <

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