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L’édition s’ouvre aux ressources humaines

Manifestation des correcteurs le 9 janvier 2018. - Photo Olivier Dion

L’édition s’ouvre aux ressources humaines

Longtemps ignorées d’un secteur fondé sur une multitude de PME recrutant souvent par cooptation, les stratégies de ressources humaines s’implantent peu à peu dans l’édition, en commençant par les grands groupes où elles apparaissent de plus en plus indispensables pour attirer et conserver les meilleurs talents.

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Par Gaëlle Picut,
Créé le 15.04.2016 à 01h00 ,
Mis à jour le 15.04.2016 à 11h47

Secteur d’activité plutôt discret et traditionnel, milieu relativement fermé, l’édition recrute encore beaucoup par cooptation, réseau ou bouche-à-oreille. La transmission familiale y est très présente, et le turnover faible. En outre, à côté d’une poignée de grands groupes, il se compose surtout de très nombreuses petites structures. Toutes ces raisons font que la gestion des ressources humaines y constitue une idée neuve. Elle s’est longtemps réduite à un ensemble de tâches administratives assurées par des services du personnel. Pourtant, depuis quelques années, au moins dans les plus grandes maisons, des politiques de ressources humaines émergent et évoluent, se modernisent, s’ouvrent vers l’extérieur. Plusieurs éléments expliquent cette transformation, encore timide mais réelle, des pratiques RH.

Alexis Rérolle, Hachette Livre- Photo OLIVIER DION

Tout d’abord, la concentration du secteur, et notamment la formation des groupes Hachette Livre, Editis et Madrigall, a favorisé la mise en place au sein de chaque groupe de stratégies et d’outils RH communs pour rationaliser et professionnaliser les pratiques. Par ailleurs, la concurrence entre les principaux groupes, notamment dans les secteurs de la diffusion et de la distribution, rend nécessaires des stratégies pour attirer et fidéliser les talents.

Accompagner la transition numérique

La mutation numérique a également donné un coup de fouet aux politiques RH. Même si l’édition n’est pas touchée avec la même force que d’autres secteurs culturels tels que les médias ou la musique, le modèle économique évolue. Le secteur adapte donc ses emplois et ses produits aux outils numériques mais aussi ses façons de faire la promotion de ses livres. Des métiers spécialisés émergent : chef de projet e-commerce livre, chargé de Web marketing. "On assiste à une transformation rapide dans les pays anglo-saxons où l’ebook représente 23 % du marché du livre aux Etats-Unis et 17 % en Grande-Bretagne, rappelle Alexis Rérolle, DRH d’Hachette Livre. C’est plus lent en France mais il est nécessaire de s’y préparer et d’accompagner cette transition numérique car cela peut évoluer rapidement." L’an passé, Hachette Livre a consacré 30 % de son budget formation au numérique.

Autre évolution : les grands groupes recrutent de plus en plus de jeunes diplômés sortant d’écoles de commerce, qui ont bien intégré la révolution digitale. "Le numérique est également un moyen de développer la mobilité entre les maisons d’édition", analyse le DRH d’Hachette Livre. De son côté, depuis 2012, Editis organise le Printemps du numérique, des conférences destinées aux salariés pour les sensibiliser au numérique.

Signe visible que les choses bougent dans la fonction ressources humaines : l’apparition de nouveaux profils de DRH, venant d’autres secteurs. Alexis Rérolle est passé par Dior et PSA avant de devenir il y a cinq ans DRH d’Hachette Livre. Le DRH de Madrigall, Sébastien Abgrall, vient des médias et celui d’Editis, Sylvain Morel, du groupe Printemps. On voit aussi se créer des postes aux intitulés qui surprennent dans le monde feutré de l’édition. Chez Editis, il y a deux ans, Aymeric Vincent a été nommé directeur des talents et du développement des ressources humaines. Chez Hachette, Caroline Lacombe est, depuis 2014, directrice du développement RH et gestion des cadres dirigeants. Cette nouvelle génération de DRH, quadras, correspond à des équipes dirigeantes elles-mêmes renouvelées. Chez Madrigall, Alexandre de Palmas, qui a géré le rapprochement de Gallimard et de Flammarion avant de quitter le groupe en juillet 2015, est passé par Casino et Clear Channel. Le numéro deux d’Editis, Guillaume Vicaire, est un ancien de Carrefour. "Il y a une vraie volonté de la part de la direction de faire émerger une politique de développement RH au sein d’Editis", confirme Aymeric Vincent. C’est chez Amazon qu’Editis a été recruter Marie-Pierre Sangouard pour la direction stratégie digitale et marketing.

Cette modernisation passe par la mise en place de stratégies et d’outils référents homogènes qui visent à faire émerger une culture et un fonctionnement communs. Ainsi, Madrigall a signé en décembre 2015, après dix-huit mois de négociations, son premier accord de GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences). Se développent également des politiques de mobilité interne, traditionnellement peu développées dans l’édition, des plans de formation renforcés notamment pour les départements stratégiques de la diffusion et de la distribution, des politiques de rémunération plus sophistiquées (notamment chez Editis et Hachette), des départements gestion des talents pour attirer et fidéliser les meilleurs. "Nous avons toujours des collaborateurs très investis, mais ils regardent aussi ce qui se pratique ailleurs. Nous cherchons également à recruter des personnes qui ont des compétences digitales fortes et qui ne pensent pas forcément à travailler dans l’édition", indique Aymeric Vincent.

Des marques autonomes

Chez Madrigall ou Albin Michel, on commence à mettre en place les entretiens annuels. Une petite révolution managériale ! Certains éditeurs se mettent également à parler de marque employeur, de marketing RH, de data et prennent la parole sur les réseaux sociaux. "Nous cherchons à renforcer l’attractivité de nos marques déjà prestigieuses par des solutions RH plus lisibles", indique Sébastien Abgrall.

Malgré ces évolutions, l’édition n’est pas encore entrée de plain-pied dans la modernisation de sa fonction RH. Celle-ci est rendue complexe par le fait que les maisons d’édition, même si elles font partie d’un groupe, ont chacune leur histoire, leur identité et leur façon de fonctionner. "Hachette Livre est constitué d’une fédération de maisons d’édition, avec des marques qui travaillent de façon très autonome et qui conservent leurs accords spécifiques liés à l’intéressement, aux congés ou aux mutuelles", rappelle Alexis Rérolle. De même chez Madrigall : "Nous installons des synergies groupe, en valorisant l’identité éditoriale de chacune de nos maisons", dit Sébastien Abgrall. Une démarche qui implique des évolutions en douceur. De nouvelles pratiques RH sont importées dans l’édition, mais en infusion lente.

"Dans l’édition, la modernisation des pratiques RH se fait par petites touches"

 

DRH depuis 2011 du groupe Albin Michel et ses 620 salariés, Guy Delfourd, souligne les limites des procédures uniformisées dans un secteur où la créativité et l’initiative sont précieuses. Il a été auparavant DRH chez Masson-Dalloz-Dunod et chez Medimedia France (Vivendi Universal Santé), et directeur des affaires sociales à Canal+.

 

Guy Delfourd, Albin Michel- Photo OLIVIER DION

Guy Delfourd - A titre personnel, j’estime que la fonction RH a considérablement évolué, et pas forcément dans le bon sens. J’ai choisi cette fonction pour accompagner l’entreprise dans ses évolutions, pour son aspect humain en contribuant au bien-être au travail des collaborateurs et en étant un médiateur quand les choses vont moins bien. Mais l’importance croissante du juridique fait que la fonction est devenue très technique, avec beaucoup de contraintes, au détriment du temps que l’on peut passer avec les gens. A moins bien sûr de disposer d’une équipe RH très étoffée.

L’édition est un secteur un peu atypique. Il évolue tout doucement et on ne peut le brutaliser. On le voit avec le numérique : la rupture annoncée n’a pas eu lieu. Les changements, la modernisation des pratiques RH se font par petites touches. Chez Albin Michel, par exemple, nous allons mettre en place les entretiens individuels annuels progressivement. Cela se pratique déjà dans certains pôles, mais nous souhaitons étendre cette pratique à l’ensemble des managers. Nous avons également structuré et professionnalisé la fonction recrutement, afin d’accompagner et de décharger les managers. De la même façon, nous avons établi un plan de formation qui va au-delà de l’obligation légale. Enfin, nous avons initié quelques mobilités internes. Cela nous semble un signal important pour les collaborateurs.

Beaucoup de maisons d’édition sont familiales, chacune fonctionne différemment en fonction de ses dirigeants, de sa culture, de ses habitudes, avec des identités et une autonomie fortes. Il n’est pas forcément souhaitable de mettre en place trop de procédures uniformisées ou contraignantes dans des métiers qui se rapprochent de l’artisanat et où la créativité et l’initiative sont précieuses.

Cependant, ces nouvelles pratiques RH sont également sources d’échanges, de mobilité et d’apprentissage. Avec l’arrivée de nouvelles générations de cadres, cela va forcément continuer à évoluer.

Le bureau de la commission, composé de représentants de quelques maisons (Hachette Livre, Editis, La Martinière, Madrigall, France Loisirs, Albin Michel, Delcourt, Elsevier Masson), se réunit tous les mois pour préparer les négociations et représenter les éditeurs dans le cadre des instances paritaires avec les partenaires sociaux. Parmi les principaux thèmes de discussion, on peut citer les rémunérations, les orientations en matière d’emploi et de formation, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. C’est aussi l’occasion d’échanger entre pairs, en toute cordialité, sur l’évolution de nos pratiques.

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