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A l’occasion du Forum Livres Hebdo consacré à la lecture de livres, Erik Orsenna pointait l’obstacle que constitue l’omniprésence des écrans et de leur connexion pour cette activité qui suppose au contraire une forme de déconnexion. Examinons plus avant le bienfondé de cette intuition.

Il n’est bien sûr pas nécessaire d’insister sur l’ampleur du degré de connexion de nos contemporains. L’enquête IPSOS/Livres Hebdo montre que 59% des Français de 15 ans et plus sont équipés d’un smartphone, soit une proportion quasi double par rapport à celle de 2011 (30%).

Ils sont dotés d’un outil permettant de transmettre non seulement la voix mais aussi du texte, des images et des liens. Une enquête montrerait même que près des deux tiers des possesseurs de téléphone portable gardent celui-ci près du lit pendant la nuit. Pourquoi cette connexion continue s’impose-t-elle à nous ? Difficile de ne pas y voir la conséquence d’une société qui demande aux individus de se définir autrement que par des statuts fixes. Au grand dam des franges les plus conservatrices de notre société, même les genres et les relations entre eux sont le cadre d’une souplesse jusqu’alors limitée à des marges et pointées comme anormales voire pathologiques !

Nous devons tenir par nos liens à défaut de tenir par nos statuts (dont certains sont menacés par le libéralisme économique). Ces relations présentent un atout par rapport aux anciennes appartenances. Au lieu d’être subies, elles sont largement choisies. Elles sont également plus fragiles et souvent plus intenses. Les écrans sont donc des outils, devenus indispensables, de construction de soi.

Dans ce contexte, le rapport à soi passe moins par un dialogue avec soi par le biais de la littérature qu’à travers les liens que nous tissons avec les autres. Bien sûr, le récit ouvre des fenêtres vers des versions de soi insoupçonnées et cela devrait assurer à la production littéraire encore de longues années de vie. Mais les autres, dans leur diversité et leur proximité variable, sont porteurs d’une capacité à cautionner un récit de soi et une image de soi que nous dégageons. Nous sommes devenus dépendants de ce regard des autres, de notre connexion avec eux.

La lecture comme « retrait du monde » à l’image de Montaigne se repliant en sa « librairie » (son bureau) loin de l’agitation, n’est plus en phase avec les lecteurs d’aujourd’hui. Reste à réfléchir à la manière dont la lecture (éventuellement de fiction) peut entrer dans ces pratiques de réseau. Elles y sont déjà fortement présentes par le biais de la recommandation : 43% des lecteurs de livres disent avoir choisis leur ouvrage suite au conseil de leur entourage loin devant les autres critères (nom de l’auteur, critiques, libraires, etc.). Mais n’y a-t-il pas d’autres manières pour que la lecture d’un roman soit l’occasion de partages, d’échanges ?

L’aspiration à la coopération de nos contemporains pourrait se traduire dans la lecture de fiction en ligne. La créativité de l’édition pourrait se diriger dans cette direction. Après tout, les régates virtuelles qui suivent le même périple que les courses océaniques bien réelles ont un succès non négligeable : plus de 400 000 régatiers lors du dernier Vendée Globe !Pourquoi, par exemples, ne pas créer de façon interactive et collaborative des histoires parallèles avec des personnages issus de fictions connus ou imaginer des histoires à partir de lieux ou d’époques ?

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