Josyane Savigneau publie aujourd’hui un livre qui s’est presque construit pendant vingt ans. Autour d’une œuvre et d’un auteur, Philip Roth, suivis pas à pas pour Le Monde. L’Américain a, on le sait, annoncé qu’il n’écrirait plus de roman après le dernier en date, Némésis. Ce qui a donné envie à l’auteure de Point de côté (Stock, 2008) d’aller plus loin. D’inviter les lecteurs de Roth "à le retrouver, dans ses livres, et dans les commentaires qu’il en fait. De les convier à une "visite à un grand écrivain"".
"Ce n’est pas une esquisse de biographie, même si l’"homme" Philip Roth y est présent puisque ce sont nos rencontres qui l’animent", explique la journaliste littéraire qui propose plutôt ici "une expérience de lecture, la traversée d’une œuvre, et, en toute conscience, un exercice d’admiration en forme de voyage dans l’univers de Roth". Un prosateur dont elle connaît comme personne la "singulière aptitude à parler du monde", l’art "du dédoublement, du faux vrai et du vrai faux, du jeu de rôles".
L’aventure a démarrée dans les années 1980. Quand Savigneau vient de terminer Femmes d’un certain Philippe Sollers et qu’elle plonge dans Zuckerman délivré de celui dont elle n’a encore jamais lu une ligne. La liberté de ton, de narration, de vie, l’humour ravageur de Roth l’emballent d’emblée. On dit le bonhomme peu maniable et pas vraiment amateur d’interview. La première rencontre aura lieu en 1992 à New York. Dans son appartement de l’Upper West Side de Manhattan, le natif de Newark (New Jersey) lui apparaît "très grand, élancé, courtois mais pas chaleureux". Il élude certaines questions qu’il juge académiques, demande s’il peut jouer du trombone devant elle !
Page après page, Josyane Savigneau creuse le rapport à la politique, à l’Amérique, aux femmes ou à la mort de celui qui est entré en littérature en 1959, à l’âge de 26 ans, avec Goodbye, Colombus, avant de devenir une star, dix ans plus tard, grâce à Portnoy et son complexe. Chemin faisant, elle nous ouvre aussi les portes de sa grande maison grise du Connecticut, interroge son hôte sur Hemingway et Faulkner, relate une soirée d’anniversaire ou un match de football américain au cœur de l’hiver. Très intelligent dans son analyse des romans de Philip Roth, l’ouvrage stimulant de Josyane Savigneau frappe par sa vitalité et sa franchise. Sa manière de donner à voir et à entendre les divers facettes d’un personnage aussi fascinant que complexe qu’on n’a pas fini de lire ou relire. Alexandre Fillon