22 mai > BD Espagne

Ardalén, c’est un vent d’Afrique chaud et humide qui, selon la croyance publique, surgirait par le sud-ouest après avoir traversé tout l’océan Atlantique depuis les côtes américaines. Dans le nouvel et ambitieux album de Miguelanxo Prado, figure saillante de la bande dessinée de l’Espagne post-franquiste dont il s’est fait, de la Movida à la crise actuelle, le chroniqueur tantôt acide, tantôt mélancolique, c’est un souffle doux et puissant qui peut tout emporter, les souvenirs et le temps qui passe. Neutralisant la raison, réchauffant les sentiments, l’Ardalén balaie périodiquement un village de montagne minuscule et oublié où fait soudain irruption Sabella. Cette jeune quadra est déstabilisée par un divorce récent et un chômage concomitant. Elle cherche les traces d’un grand-père qu’elle n’a pas connu et qui, au cours d’une vie de marin dans les Caraïbes et en Amérique latine, aurait été en contact avec un natif du village.

La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.

Accueillie avec empathie par la tenancière du café, seul point d’animation du lieu, mais avec méfiance, puis hostilité par les piliers de l’établissement, Sabella va faire la connaissance d’un certain Fidel, vieillard fantasque et attachant, réfugié dans d’incertains recoins de sa mémoire, souvenirs de mer, de traversées et de naufrages. Loin de l’océan, dauphins, baleines, méduses, étoiles et autres poissons et animaux marins envahissent parfois l’atmosphère dans un ballet fantastique, clins d’œil à l’Arizona dream d’Emir Kusturica ou à Enki Bilal, autre artiste issu de l’ex-Yougoslavie, qui en a fait de même un usage poétique et métaphorique. Avec eux vont et viennent, par bribes, des réminiscences imprécises que Fidel tente péniblement d’assembler pour une Sabella taraudée par les secrets et les traumatismes familiaux. Avec eux également revivent les fantômes du passé de Fidel, ou peut-être d’un autre : l’ami Ramon, jalousé pour ses conquêtes féminines ; la belle Rosalia ou Adela, éternelle jeune fille au destin énigmatique.

Entrelaçant rêves et réalité, fragments de mémoire plus ou moins fantasmés, le dessinateur galicien, né en 1958, tisse une toile riche et complexe pour laquelle il a aussi formidablement fait évoluer son style. Retrouvant l’inspiration de Trait de craie (Casterman, 1994), lui qui optait généralement pour un trait anguleux et sec, dramatisé par des teintes crues qui faisaient ressortir la sauvagerie des rapports sociaux, travaille désormais tout en rondeur. Il revisite ses couleurs, qui vibrent d’une sensibilité nouvelle. Son dessin prend de l’épaisseur, du relief, de la sensualité. Ardalén, chef-d’œuvre mélancolique, s’impose comme son plus bel ouvrage.

Fabrice Piault

Les dernières
actualités