Tribune

Ronald Blunden, directeur de la communication du groupe Hachette Livre, qui est membre du Publishers Circle de Pen International, rend compte de la visite en Turquie d’une délégation de Pen International.

Fin janvier, une délégation de Pen International s’est rendue à Istanbul pour enquêter sur la répression qui s’abat sur les intellectuels turcs depuis le coup d’Etat manqué de juillet 2016.

Nous avons auditionné des écrivains, des journalistes et des éditeurs, visité des rédactions décimées par les arrestations et recueilli des témoignages bouleversants. Nous avons aussi tenté d’organiser une manifestation de soutien devant la prison de Silivri, mais nous avons été interpellés et refoulés par la police militaire.

Cent cinquante journalistes turcs ont été arrêtés depuis le coup d’Etat manqué et sont actuellement incarcérés tandis que 10 000 de leurs collègues, soupçonnés d’opinions antigouvernementales, ont été licenciés et mis à l’index, ce qui les prive non seulement d’un moyen d’expression, mais aussi de leur gagne-pain.

Quarante-cinq publications, 16 chaînes de télévision, 23 radios, 3 agences de presse et 29 maisons d’édition ont été interdites.

Concession à l’opinion internationale, le délai de garde à vue est passé de trente à sept jours… sauf pour les crimes terroristes. Or justement, c’est le soupçon d’activité terroriste ou d’apologie du terrorisme qui est invoqué dans tous les cas pour justifier les arrestations d’intellectuels. Les juges d’instruction peinant - et pour cause ! - à les inculper de ce chef, mais ayant manifestement reçu des ordres d’en haut, les gardes à vue se prolongent des mois au mépris de la loi, sans que les prisonniers soient mis en examen ou aient accès à leur dossier. Certains sont libérés sans explication, mais convoqués ultérieurement pour de nouveaux interrogatoires… qui peuvent se solder par une nouvelle incarcération. Les intellectuels kurdes sont particulièrement visés.

Cette situation a poussé Asli Erdogan à poser la question suivante : "Pourquoi ce pays hait-il à ce point ses intellectuels ? Le gouvernement se dit nationaliste, mais la puissance d’une nation ne se mesure- t-elle pas aussi à la force de sa culture ?"

Ce mystère ne devient compréhensible qu’à la lumière du projet de référendum sur la Constitution qui doit donner, en avril, les pleins pouvoirs à Recep Tayyip Erdogan. Faire taire les voix dissidentes est pour le président un moyen très cynique de mettre toutes les chances de son côté. Il est temps de lui faire savoir, par tous les moyens, que c’est la place de son pays dans le concert des nations qu’il sacrifie à sa soif de pouvoir.

10.02 2017

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