11 février > roman Chine

Recevant le prix Nobel de littérature en 2012, le Chinois Mo Yan affirmait que "pour un écrivain, la meilleure façon de parler, c’est d’écrire". Il le prouve à nouveau dans un roman voluptueux. Biberonné aux légendes et aux mythes, il y voit sa principale source d’inspiration. Lui qui a grandi dans une famille de paysans illettrés, il n’a jamais oublié ses racines. Après Le clan du sorgho rouge, nourri par les histoires de sa grand-mère, voici celui des "chiqueurs de paille", qui célèbre l’imaginaire millénaire des contes populaires.

"Il arrive que l’histoire d’un clan soit presque l’histoire dynastique en miniature. Chacun a son propre récit." Ici les personnages prennent le visage d’ancêtres palmés, d’enfants castrés ou de grands-oncles numérotés (par exemple "le Quatrième"). Composé de divers rêves, le roman fait l’effet d’un manège enchanté. Chaque tour comporte un voyage au pays des conflits, des angoisses ou des fantasmes. Un "réalisme sorcier" à la García Márquez, que Mo Yan admire. De par une langue luxuriante, tout est poème dans ce livre. Chaque mot semble façonné dans de la porcelaine, tant les descriptions atteignent la perfection.

C’est pourtant la nature qui domine. Imprévisible et foisonnante, elle est peuplée de sauterelles invasives, de papillons démesurés ou de serpents volants. Les hommes se perdent dans la forêt ou la mangrove, mais est-ce pour mieux se retrouver ? "Les vivants sont toujours sous la surveillance des morts." Au son des grêlons, les coups pleuvent ou les baisers s’embrasent. Ici, les héros se nomment Ciel ou Terre. Ils rêvent de pouvoir, d’amour ou de sagesse. La plume virevoltante de l’auteur dévoile une sensualité inouïe, quand il s’agit d’évoquer le parfum envoûtant des femmes. Mo Yan manie aussi bien la nostalgie que l’ironie, l’amour que la cruauté. Même le plaisir de tuer est conté avec fébrilité. L’humain est un étrange animal.

L’avant-propos du prix Nobel Mo Yan est révélateur : "Ce livre montre ma vénération pour la Nature, mon sentiment sur l’amour charnel et la violence. Il met mon âme à nu, l’iceberg flottant sur l’eau et sa face cachée." Celle-ci est par ailleurs scrutée dans un recueil pointu, réunissant les actes d’un colloque international (Paris-Aix-en-Provence, 2013-2014) qui analysent ses écrits : "Mo Yan signe une œuvre passe-muraille. D’un royaume littéraire fondé sur son pays natal de Gaomi, il construit une œuvre-monde." Il nous ouvre les portes de la culture populaire chinoise, tout en embrassant les grands thèmes universels avec brio. Un brin de magie et de philosophie nous rappelant que "l’être humain toujours agit malgré lui. Pourvu que l’on puisse s’envoler haut, qu’importe si la chute vous réduit en morceaux !"Kerenn Elkaïm

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