C’est du cousu main, du roman psychologique "à la française", post-mauriacien si l’on veut, par quelqu’un d’aussi discret que rare : en cinquante ans de carrière, Claire Gallois n’a publié qu’une quinzaine de livres, et pas que des romans. Ce retour, qui flirte avec l’autofiction, réjouira les amateurs de "belle ouvrage".
Et si tu n’existais pas est un livre cruel, qui commence par "J’aurais voulu naître sous X", et s’achève sur l’abrègement des souffrances de la vieille Yaya, 87 ans et mourant d’un cancer, la nourrice chérie, par celle qu’elle a toujours appelée "Princesse" ou "Ma Reine". Durant les six années heureuses qu’elles ont vécues seules dans une maison, à La Souterraine, dans la Creuse. Jusqu’en 1943, quand la mère de la narratrice, Yvette, vient la récupérer pour la réintégrer dans la famille, sauver les apparences. Même en temps de guerre, d’occupation et de collaboration - le père, Paul, un type effacé, tyrannisé par sa femme et sa belle-mère, qui habite au-dessus de chez eux, est un militaire, membre du gouvernement de Vichy -, il faut tenir son rang grand-bourgeois. Rue de Courcelles, on s’y emploie.
Mais ce petit monde, l’héroïne, ses parents et grands-mères, son frère cadet, leurs deux aînées, Mona la garce et Elise la bigote, se coudoie, ne se parle guère - la mère, de surcroît est sourde et son sonotone siffle - et, surtout, ne s’aime pas. Sauf Paul, malhabile dans l’aveu des sentiments, mais qui finira par révéler à sa fille, après sa fuite et ses débuts dans le journalisme, symbole de liberté, son secret : il a autrefois été amoureux d’Emilia, dite Yaya. Celle que justement l’héroïne parvient à retrouver, trente ans après, mais quelques mois seulement avant la mort de cette femme, qu’elle considère comme sa vraie mère. J.-C. P.