Les livres de Ricardo Menéndez Salmón sont aussi minces que forts. Découvert avec L’offense (Actes Sud, 2009), le natif de Gijón poursuit inlassablement un puissant questionnement romanesque. La dernière pierre noire de son œuvre a pour titre Medusa. Mythe et histoire sauveraient l’homme du non-sens, y lit-on au début. Le narrateur a écrit une thèse de doctorat sur « l’iconographie du mal au XXe siècle ». En 1994, alors qu’il collectait pour cela de la documentation, il est tombé sur un petit film de trois minutes et trente-sept secondes sans bande-son.
Un film qui montre une danse macabre : l’exécution de prisonniers lituaniens pendant la Seconde Guerre mondiale. Son auteur, Prohaska, a laissé des mémoires posthumes publiés en 1975, Sous la dictée d’un dieu cruel, bien qu’il s’agisse d’un homme sans visage et sans idéologie, dont on ne conserve pas « un seul portrait, une seule photo de passeport, une seule trace sur celluloïd ». Garçon non désiré, avec un père mort à la bataille de Tannenberg et une mère qui « ne l’aima jamais », Prohaska est né avant terme, la nuit de Noël 1914, dans un lointain village du nord de l’Allemagne.
Dès l’enfance, il comprend sa vocation de « capturer le monde dans les images ». A 8 ans, il fugue pendant 72 heures et manque de mourir. A 12 ans, il découvre Le cabinet du docteur Caligari de Robert Wiene. Ce personnage, qui porte en lui la nuit et le froid devient en 1929 assistant d’un photographe de « rites » officiant aux baptêmes, aux mariages et aux enterrements. Son premier film, un documentaire inspiré par la guerre civile espagnole, il le réalise en 1936. Trois ans plus tard, le voici documentariste, accompagnant la Wehrmacht à Varsovie pendant le Blitzkrieg.
Photographe et cinéaste de guerre, « scrutateur de la mort », Prohaska n’a cessé de s’acharner à témoigner du « hurlement de l’homme et du silence des dieux ». A l’instar d’un Ricardo Menéndez Salmón qui signe ici son texte le plus saisissant à ce jour. Al. F.
