Les livres d’Arno Geiger parlent tous de la famille. C’était le cas du roman magnifique qui l’a fait connaître en France, Tout va bien (Gallimard, 2008), comme ensuite du récit poignant qu’il a consacré à son père atteint de la maladie d’Alzheimer, Le vieux roi en son exil (Gallimard, 2012).
Tout sur Sally, son nouveau roman, ausculte une famille. Mais pas seulement, puisque l’Autrichien signe également ici un remarquable portrait de femme et la radiographie minutieuse d’un mariage. Sally Fink, son héroïne aux sourcils broussailleux, est depuis trente ans mariée à Alfred. Un homme corpulent, à "l’inertie sénescente" selon son épouse. Ces deux-là se sont rencontrés au Caire. Sally y était dactylo à l’institut culturel et Alfred un jeune ethnologue.
Les Fink ont eu trois enfants : Alice, Emma et Gustav. Ils habitent à Vienne, dans un quartier cossu, où ils vont devoir rentrer précipitamment car leur maison de briques, avec des tortues et des fleurs, est cambriolée et saccagée par des vandales. Terminées les quinze jours de vacances en juillet en Angleterre, où ils ont cherché la tombe de Sylvia Plath à Heptonstall. Petit à petit, le lecteur découvre un couple qui s’observe et se défie. Sally regarde Alfred d’un drôle d’air depuis qu’il porte un bas de contention la nuit, et lui lance de plus en plus de piques.
Pas spécialement célèbre pour son sens pratique, Alfred est son aîné de cinq ans. Ils sont ensemble et côte à côte, bien qu’il leur arrive encore de faire l’amour. Alors qu’Alfred sombre dans une dépression post-cambriolage, Geiger se focalise plus sur Sally. Professeure, elle enseigne à des jeunes gens dans un collège public. L’une de ses élèves lui reproche de toujours dénigrer "ce qui est bien", et cela l’atteint un peu. C’est une femme entre deux âges, "née à l’ère de la psychologie et de la bombe atomique", qui s’étonne de toujours voir à quel point les périodes "d’ouverture et de fermeture " se succèdent dans sa vie. Sally a conscience qu’elle a un jour fermé "la fabrique de rêves" et a remplacé les utopies par des structures.
A 52 ans, elle entame pourtant une liaison avec Erik, le mari de sa meilleure amie, avec qui elle couche dans un hôtel dont les fenêtres donnent sur le Vieux Danube. La voilà qui sent qu’elle perd le contrôle d’elle-même, et pleure à l’enterrement d’un collègue qui s’est suicidé… Tout sur Sally est une réussite totale. On ne peut qu’applaudir à tout rompre le tour de force d’un Arno Geiger qui parvient à être subtil et direct à la fois. Al. F.