C'est à la fois un livre qui ne manque pas de charme, et laisse le lecteur sur sa faim. Voici donc un fils sexagénaire, en l'occurrence le journaliste-écrivain-producteur de télévision bien connu Olivier Barrot, qui se décide à écrire sur son père, bien après la mort de celui-ci, décédé en 1987. Soit. Sachant que, et aussi bizarre cela puisse paraître- mais on connaît des exemples similaires -, il ignore à peu près tout de cet homme, sur qui "tout ce [qu'il] a su [lui] a été livré par des tiers", il aurait pu se lancer dans une espèce d'enquête journalistique, de remontée dans un passé qui, par les bribes qu'il nous en livre déjà, se serait révélée passionnante.
M. Barrot père, qui s'appelait Bloch - pourquoi ce changement de patronyme ? mystère, même si l'on en a bien une petite idée -, était un homme d'exception et de culture, grand lecteur, résistant, décoré, cinéphile fondateur de L'Ecran français, et même cinéaste. On s'excuse du peu.
Alors, pour combler ce vide abyssal, dont il semble qu'il ne se soit jamais remis, Barrot fils a recours à ce qu'il sait faire de mieux : raconter des histoires. Faire partager au lecteur quelques-unes de ses innombrables passions : la littérature au premier plan, bien sûr, mais aussi le théâtre, le cinéma, les voyages, le sport, les belles voitures - anglaises de préférence. Car notre homme, qui assume un snobisme au-delà de tout, est un anglolâtre, qui ne se chausse jamais en "brown after six" !
Partant, comme pas mal de journalistes-écrivains qui, par nature et par fonction, ont connu des personnages d'exception, Olivier Barrot ne résiste pas au plaisir du name-dropping, avec un casting éblouissant qui rassemble son "presque-frère" Modiano, Jean d'Ormesson ou Jorge Semprun, avec qui il a réalisé des émissions télévisées remarquées, Pierre Tchernia, Roberto Rossellini, ou encore le grand helléniste Jean-Pierre Vernant, qui devient pour lui une espèce de père idéal de substitution, avec pour seul défaut de lui offrir à chacune de ses visites, et croyant lui faire plaisir, du saumon fumé, mets qu'il déteste !
Barrot, lui, est plutôt latiniste, qui a prénommé l'un de ses fils Térence. Pas en hommage à Trinita, bien sûr, mais au poète comique latin, auteur, entre autres, de L'heautontimoroumenos ou Bourreau de soi-même, un modèle d'autodérision. Ou de sotie, c'est selon, un genre que Gide appréciait entre tous. Le jeune Olivier a eu la chance que son père, en guise de leçon de vie, lui transmette son amour de Paludes, qu'il lui lisait le soir à la place du Petit Poucet. Oui, décidément, on aimerait bien en savoir plus sur cet homme que son fils, malgré lui, a manqué.
Le fils perdu, Olivier Barrot, Gallimard, 11, 90 euros, 144 pages, ISBN : 978-2-07-012324-7. Sortie : 4 octobre.