James C. Scott est un émule de Bourdieu. La question du pouvoir et de la domination est au coeur de ses recherches. Ce professeur à la prestigieuse université de Yale, qui fut auditeur libre à Sciences po, à Paris, au début des années 1960, a orienté ses travaux sur l'anarchisme. Zomia est en quelque sorte la démonstration de cette investigation.

Zomia est un territoire en Asie du Sud-Est. Son nom n'apparaît nulle part et ne figure sur aucune carte. C'est une métaphore ethnologique. Mais pourtant 100 millions de personnes y vivent, sans aucune forme de gouvernement, à la périphérie des Etats-nations.

Dans la lignée des intuitions de Michel Foucault et surtout de Pierre Clastres, James C. Scott nous invite à découvrir cette région qui s'étire du Vietnam au nord de l'Inde, traverse cinq pays asiatiques et quatre provinces chinoises, qu'il identifie à une vaste zone d'insoumission où des peuples nomades ont développé depuis le XIIIe siècle des stratégies de résistance et d'évitement face à l'Etat.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les technologies de communication, les routes et les véhicules réduisent peu à peu ce pays sans Etat qui maintient des cultures (oralité) et des agricultures (manioc) fugitives pour échapper à tout assujettissement, allant même jusqu'à dissimuler certains villages. James C. Scott fait d'ailleurs l'hypothèse que ces peuples sans écriture ne seraient pas pré-lettrés, mais post-lettrés... Zomia n'est pas une utopie dans le sens où elle n'est pas une construction imaginaire. Elle existe vraiment, et sa seule raison consiste à échapper à l'Etat et, d'une certaine façon, à l'histoire pour rester libre.

Dans la continuité de La dominationet les arts de la résistance (Amsterdam, 2009), Zomia est une étude savante certes, mais très lisible, sans jargon, avec beaucoup de détails et d'observations qui viennent secouer, après Lévi-Strauss et quelques autres, les notions d'oppression et de civilisation. Un sacré voyage !