A un moment, dans un avion, Alain Mabanckou interviewe Eduardo Manet, pour ses étudiants de l’Ucla à qui il enseigne la littérature française, sur son identité en tant qu’écrivain. "Mon ami Andreï Makine me dit souvent qu’on appartient à la langue dans laquelle on écrit, explique Manet. Je suis français quand j’écris en français." Un Cubain répondant à un Congolais en citant un Russe, quelle plus belle défense et illustration rêver pour notre langue et notre littérature, "d’expression française" plutôt que "francophone", terme sec, réducteur et technocratique !
Le projet d’Alain Mabanckou, avec cet essai clair, utile et qui fait passer dans la rentrée un grand souffle d’air tropical, c’est un peu de faire le "Grand Tour" de cette littérature, à travers ses représentants majeurs (à quelques oublis près, comme le Marocain Tahar Ben Jelloun, les Libanais Amin Maalouf ou Vénus Khoury-Ghata, le Turc Metin Arditi…), vivants ou morts, qu’il a rencontrés ou non. Ça commence avec le Mauricien Le Clézio, ça s’achève avec la Gabonaise Bessora, en passant par Dany Laferrière, Sony Labou Tansi, dont Mabanckou a conservé longtemps le manuscrit de La vie et demie, ou encore le cher Douglas Kennedy, Américain de Paris dans la grande tradition qui, à Marrakech et en français, déclare : "La France reste l’unité de mesure de la littérature, voire de la culture. […] Sais-tu que je suis plus lu en France qu’en Amérique ?" Il ne lui reste plus qu’à écrire directement dans notre langue, pour intégrer la belle et grande tribu des écrivains français. Parlant des autres, Mabanckou parle aussi de lui, de ses racines, et il le fait très bien. J.-C. P.